Neverland, David Léon
Neverland, 2017, 55 pages, 13 €
Ecrivain(s): David Léon Edition: Espaces 34
« Have you seen my childhood… »
Le personnage de la psychosociologue dans la dernière pièce de David Léon, Neverland, dit de Mikaël (avatar de Michael Jackson) qu’il est une « figure mythique absolument ». Celui qui fut appelé « The king of the pop » est sans conteste une figure de légende, une star de Walk Fame, un incroyable artiste interplanétaire, un homme-enfant, un fils maltraité, un noir devenu blanc, un homme mis en accusation pour pédophilie, un défunt par overdose médicamenteuse. Le maître du ranch de Neverland, royaume de l’éternelle enfance, celle des zoos et des parcs d’attraction, pays de Peter Pan.
Michael Jackson de porcelaine pour Jeff Koons ou être difforme entre le vert et le gris pour Paul McCarthy. David Léon lui, l’écrit, le fragmente, dans le souffle d’une langue presque continue, à travers les voix de ceux qui l’approchent mais ne parviennent jamais à le saisir tout entier : le père noir, Joshua ; ses divers sosies enfants et adultes ; Jimmy, ami ou amant, et celle qui prétend expliquer scientifiquement qui il est. Mikaël quant à lui prend la parole mais dans la douleur, sa douleur.
Le texte est semblable à un tissu patchwork où sont cousus ensemble Faulkner, Cornac McCarthy et la Bible et l’auteur. Le texte est une suite de petits morceaux de paroles séparés par trois points ou une barre (celle qui encadre le discours psychiatrique). Il y a quelque chose de l’ordre du baroque foisonnant dans l’écriture de David Léon, de l’impossible lecture rectiligne de la trajectoire du héros. Au début est sa mort ; à la fin, son enfance. Est-ce un hasard si David Léon reprend la figure tutélaire de Sosie comme chez Molière, à l’ouverture de son texte, par-delà une définition « réaliste » de ce mot. Le moi travesti, démultiplié revient régulièrement (pp.9-17-25-30-34-39-42-48). Sosie n’est d’ailleurs pas uniquement imitateur du chanteur-danseur ; il est à lui, son esclave (MON MIKAEL).
Ce qui irrigue la pièce de David Léon, c’est le lien du père au fils et du fils au père, selon les lois du sang et celles de l’imaginaire fantasmé. Deux pères naturels manipulateurs et intéressés par l’argent : Joshua et le père de Jimmy qui empoche des millions de dollars en échange de la fin de ses poursuites judiciaires contre Mikaël. Et les autres pères : Sosie dit à Mikaël qu’il va le laisser « orphelin », Mikaël est le père de substitution de Jimmy (je l’appelle « papa », p.24). Le père qui gifle (p.23) et l’enfance qui s’évade dans la poésie des animaux, des jeux, des figures de Disney, de Peter Pan et de Wendy.
Comme la chante d’une voix douce, presque féminine de M. Jackson : Have you seen my childhood…
Et puis surgissent les menaces de la violence faite à l’enfant, la « scène capitale » avec Omar (p.51), qui revient dans l’œuvre de David Léon. Il faut alors justement se réfugier dans le monde du « jamais, jamais » qui finira par être anéanti dans les flammes d’un gigantesque incendie. Toute la pièce se tisse entre ce que nous savons de la vie du chanteur et de ce qu’en dit le poème dramatique, ses étoiles fulgurantes. Et la mort enfin de Mikaël malgré les massages cardiaques et Jimmy abandonné. Mais Mikaël/Michael ne saurait être anéanti, figure christique de l’Amour, dieu égyptien embaumé et gospel réitéré : Let my people go.
Le texte de David Léon a fait l’objet d’une lecture au Théâtre Ouvert en 2016. France Culture va proposer une création radiophonique de la pièce, courant 2017, et David Léon lira Neverland dans le cadre d’Artéphile, lors du prochain festival d’Avignon. En 2018, il assurera une mise en voix au théâtre Jacques Cœur à Lattes.
Marie Du Crest
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