Né au bon moment, David Lodge
Né au bon moment (Quite a Good Time to Be Born, A Memoir, 1935-1975) traduit de l’anglais par Maurice Couturier, février 2016. 561 p. 24 €
Ecrivain(s): David Lodge Edition: Rivages
Pour tous ceux qui connaissent essentiellement David Lodge à travers ses œuvres hilarantes (et elles sont nombreuses*1), il faut dire d’emblée que cette première partie de son autobiographie est largement dominée par un sentiment durable de mélancolie. Lodge raconte ici son enfance, ses parents, les années de guerre, sa jeunesse, ses débuts dans la carrière d’écrivain. Est-il besoin de dire qu’il s’agit là de l’essentiel, des mémoires de l’auteur (il annonce en préface un second volet à venir « si j’en ai le temps »), les fondements d’une vie et d’une œuvre.
Sans cesse, David Lodge établit le lien entre les deux. Il tisse les passerelles entre les émotions, les blessures, les peurs de l’enfance et les traces qu’elles laisseront en lui et dans l’écriture d’une œuvre désormais immense, romans (25 !), biographies, nouvelles, pièces de théâtre. Il écrit, à propos de ses souvenirs de « pension » (qui ne dura qu’une petite semaine !) :
« A présent, je n’arrive plus à distinguer de façon certaine les détails empruntés à ma propre vie, ceux dictés par d’autres œuvres qui ont traité du sujet, comme « Portrait de l’artiste en jeune homme » de Joyce et « Frost in May » d’Antonia White, et ceux de mon invention ».
Cette fusion des sources – le vécu, les lectures, la fiction pure, David Lodge s’amuse dans ce livre à la traverser dans un sens et dans l’autre, nous menant ainsi, peu à peu mais avec puissance, au cœur du secret de son inspiration littéraire. Comme pour en faire la démonstration, Lodge insère dans sa narration des extraits de ses œuvres, qui viennent comme un écran/miroir prolonger son récit. Ainsi sa rencontre avec l’écrivain Malcolm Bradbury, qui deviendra l’un de ses meilleurs amis :
« Nous sommes très vite devenus amis, de même que Mary et Elizabeth. J’ai décrit longuement nos relations dans un autre livre et ne saurais mieux faire pour en définir la nature que de citer quelques pages : Les amitiés profondes entre écrivains ont un caractère particulier, surtout quand elles se forment assez tôt dans leur carrière, quand les deux personnes concernées mettent en forme leur travail, se le montrent, en discutent, et parfois collaborent. »
L’enfant est fragile, facilement effrayé, physiquement petit et frêle, et surtout, surtout, profondément attaché à sa mère. Raconté avec l’humour qu’on connaît évidemment chez Lodge, ce trait fait souvent sourire et fait irrésistiblement penser à Woody Allen ou Philip Roth. On se dit que tout cela ressemble fort au rapport du garçon à la « mère juive ». Et, juste au moment où on se le dit, voici ce que David Lodge nous dit, comme répondant à notre question :
« J’avais surtout envie de vérifier une légende familiale – si ténue qu’il vaudrait peut-être mieux la qualifier de rumeur – selon laquelle la grand-père ou la grand-mère de mon père était d’extraction juive. J’ai toujours aimé l’humour et les écrivains juifs, surtout quand ils sont américains. Je suis flatté que l’esprit de dérision qui imprègne mes livres ait pu être comparé à celui de Woody Allen – l’un de mes personnages les plus connus. »
Finalement, enquête généalogique faite, il n’en est rien de l’ascendance juive de David Lodge. Mais la parenté psychologique et littéraire est évidente.
Mais Lodge est surtout, réellement et profondément anglais. On le savait pour son humour, pour son attachement profond à la Mère Patrie, mais quand on est supporter, depuis l’enfance, d’un club assez obscur de Première Division*2 (la Premier League aujourd’hui), le Charlton Athletic, on ne peut qu’être anglais jusqu’au bout des ongles !
« En 1946, l'équipe a accédé à la finale de Coupe à Wembley et perdu trois à un contre Derby County pendant les prolongations. J’ai écouté la retransmission à la BBC, inconsolable. Mais Jimmy Seed, le remarquable entraîneur de Charlton, qui avait fait monter l’équipe de troisième en première division en deux saisons avant la guerre, s’est juré qu’ils reviendraient à Wembley l’année suivante ? Et, bon sang, c’est ce qu’ils ont fait, comme dans une histoire des magazines – Hotspur, Wizard et Champion – pour lesquels je dépensais chaque semaine mon argent de poche -, et cette fois ils ont gagné ! »
Même son catholicisme, familial et profond, est l’objet chez Lodge d’un regard distancié, critique, à la fois empreint de foi authentique et d’humour (peut-on parler de l’humour catholique comme de l’humour juif ? Chez Lodge, assurément).
Le talent de David Lodge fait de ce premier tome de ses Mémoires un livre attachant, débordant d’informations, drôle parfois, émouvant toujours, parfait de bout en bout. Il était attendu, le grand biographe, sur sa propre biographie. Il est superbement au rendez-vous.
Léon-Marc Levy
*1 – Un tout petit monde, La chute du British Museum, Thérapie, Changement de décor, Jeu de société… et tant d’autres (tout Lodge est chez Rivages)
*2 – Charlton Athletic est actuellement en ChampionShip (équivalent de la D2 en Angleterre)
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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