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Coco givrée, Nadine Monfils

05.03.11 dans Critiques, Belfond

Coco givrée. 2010, 259 p. 18,50 €

Ecrivain(s): Nadine Monfils Edition: Belfond

Coco givrée, Nadine Monfils

Nadine Monfils fait partie des figures les plus attachantes des Lettres belges contemporaines. Depuis près de trente ans, celle qui compta jadis André Pieyre de Mandiargues, Leonor Fini et Thomas Owen parmi ses amitiés littéraires et artistiques, explore un imaginaire exubérant, entre candeur et perversité. Nourri aussi bien de peinture et de cinéma que de littérature, l’univers de l’écrivaine se donne à lire dans de savoureux contes érotiques et cruels[1], mais également dans des pièces de théâtre ou des romans.

C’est dans ce dernier genre que Nadine Monfils s’est acquise un large et fidèle public, grâce surtout à sa série mettant en scène le commissaire Léon, « le flic qui tricote »[2]. C’est également dans le roman qu’elle a offert quelques-unes de ses œuvres les plus marquantes. Parmi celles-ci, on se bornera à rappeler Rouge fou[3], un très beau conte d’initiation féerique et érotique digne des grandes réussites de la surréaliste Lise Deharme, ainsi que deux inoubliables romans noirs, Une petite douceur meurtrière[4] et Monsieur Émile[5], résolument hors normes. Évoquant le premier, le critique et collagiste proche du surréalisme André Stas, a pu admirer dans ce livre un « polar bizarroïde, mâtiné de conte grand-guignolesque[6] ».

Quant au second, un rien moins insolite peut-être, il prolonge de bien belle manière l’« ambiance "disjonctée"[7] » dans laquelle baignait Une petite douceur meurtrière. Au final, ces « Séries Noires » se signalent comme des récits à l’humour noir ravageur et au rythme frénétique. Pas un instant ils ne se relâchent, tant sur le plan de l’écriture que sur celui du suspense. On se rend très vite compte à la lecture de ces deux perles résolument sombres que derrière l’imagination débridée de l’écrivaine, volontiers tournée vers l’outrance macabre, se dissimule un sens aigu de la construction romanesque, un art consommé de la mécanique narrative de haute précision.

Par la suite, Nadine Monfils, dans ses fictions criminelles – celles consacrées notamment au commissaire Léon… –, n’a pas toujours su avec autant d’efficacité et de poésie mêler la fantaisie et le sordide, l’humour et l’horreur. La cause sans doute, chez cette écrivaine passée par le théâtre, à une trop grande facilité dans les dialogues. D’où parfois des digressions par trop bavardes qui nuisent au tempo de la narration. Ce qui n’empêche pourtant pas notre auteure de livrer régulièrement des polars au ton original, pleins d’invention et de personnages extravagants. Certaines enquêtes du « flic qui tricote » sont même très réussies, à l’instar du Silence des canaux[8], à l’atmosphère particulièrement prenante, à la limite du fantastique.

Ce climat d’étrangeté, on le retrouve peu ou prou dans les thrillers que Nadine Monfils publie depuis 2007 aux éditions Belfond. Des quatre ouvrages parus, on mettra sans doute un peu à part Nickel Blues[9], certainement le plus mémorable. Il s’agit d’un roman au rythme très resserré, haletant, et à l’humour très grinçant. L’imagination macabre y est reine avec, notamment, l’un des personnages qui conserve la tête de sa grand-mère dans un bocal à poisson rouge ! La fin du livre, sans doute, est un peu en deçà des attentes du lecteur, mais elle est heureusement rattrapée par un clin d’œil à l’admirable artiste fin-de-siècle Léon Spilliaert. Les trois autres livres, Babylone Dream[10], Tequilla frappée[11] et le récent Coco givrée[12], sont quant à eux dévolus aux enquêtes de l’inspecteur Lynch et de ses acolytes dans la ville imaginaire de Pandore. Picturalement, la référence majeure est ici René Magritte, dont certains tableaux (Le Domaine d’Arnheim, Le Plaisir, L’Esprit de géométrie, L’Assassin menacé, La Maison de verre…) inspirent pour une large part Coco givrée. On peut même lire ce roman, dont l’intrigue policière n’est pas particulièrement originale[13], avant tout comme un hommage sincère au peintre belge. L’amoureux de Magritte croisera ainsi le nom de certains des amis du surréaliste, comme les poètes Paul Nougé et Louis Scutenaire (mais qu’en est-il du facétieux Marcel Mariën ?), ainsi que le fascinant fantôme de Lola de Valence qui vient hanter tout un court chapitre. Surtout, il retrouvera les hommes à chapeau boule de l’artiste, « sortes d’anges déchus[14] » qui errent dans les rues de Pandore et qui confèrent à quelques pages du livre un charme très singulier.

Pour autant, l’écrivaine, qui est aussi cinéaste, n’oublie pas ses classiques du Septième Art. Dans Coco givrée, Nadine Monfils salue notamment David Lynch à travers le nom de son inspecteur et en créant une « rue Blue-Velvet[15] », mais rend également hommage au génial réalisateur de La Monstrueuse parade, par le biais de l’enseigne d’un magasin de jouets horribles, « Freaks Toys » : « Tous les monstres de Tod Browning, en vinyle ou en porcelaine, s’y trouvaient. Cette boutique avait un succès fou auprès des gosses[16] » Autant d’éléments d’intertextualité qui, en plus de ravir les initiés, participent pleinement à l’ambiance si particulière de ce roman. Une ambiance entre rêve et réalité, proche de la surréalité, à laquelle contribue toute une galerie de personnages secondaires aussi étranges (parfois jusqu’au grotesque) les uns que les autres. Des êtres toujours un peu inquiétants, à l’instar de ce tailleur passionné de taxidermie, ou bien de Rita Kaderboech, une vieille folle au bec-de-lièvre qui prétend lire l’avenir… dans les pattes de lapin !

Au final, l’impression qui demeure à la lecture de ce livre est plus que favorable. Sans doute inégal, parfois même un peu agaçant (l’exubérance tapageuse du trio formé par  Coco, mémé Yvonne et Johnny Cadillac peut très vite irriter…), le roman parvient néanmoins à emporter l’adhésion et clôt d’agréable façon la trilogie inaugurée par Babylone Dream. Mais force est de reconnaître que l’on a connu Nadine Monfils mieux inspirée. Et que l’on attend toujours d’elle le digne successeur de Monsieur Émile.

 

Eric Vauthier


[1] Voir en particulier Laura Colombe. Contes pour petites filles perverses (1981 ; rééd. : Mont-de-Marsan, L’Atelier des Brisants, « Le Miroir aveugle », 2001), Contes pour petites filles perverses (Monaco, Éditions du Rocher, « Renaudot et Cie », 1995) et Contes pour petites filles criminelles (1997 ; rééd. : Noisy-sur-École, Éditions Tabou, 2008).

[2] La série du commissaire Léon compte 10 volumes parus chez Vauvenargues entre 1999 et 2002, auxquels s’ajoute, dernièrement, une nouvelle enquête, Les Fantômes de Mont-Tremblant (Montréal, Québec Amérique, 2010) réservé au marché québécois.

[3] Nadine Monfils, Rouge fou, roman, Paris, Flammarion, 1997.

[4] Nadine Monfils, Une petite douceur meurtrière, roman, Paris, Gallimard, « Série Noire », 1995.

[5] Nadine Monfils, Monsieur Émile, roman, Paris, Gallimard, « Série Noire », 1998.

[6] André Stas, « Contes cruels », Le Carnet et les Instants, Bruxelles, no 98, 15 mai-15 septembre 1997, p. 56.

[7] Ibidem.

[8] Nadine Monfils,  Le Silence des canaux, Paris, Vauvenargues, « Le Commissaire Léon », 2000.

[9] Nadine Monfils, Nickel Blues, Paris, Éditions Belfond, 2008.

[10] Nadine Monfils, Babylone dream, Paris, Éditions Belfond, 2007.

[11] Nadine Monfils, Tequilla frappée, Paris, Éditions Belfond, 2009.

[12] Nadine Monfils, Coco givrée, Paris, Éditions Belfond, 2010.

[13] Notamment pour ceux qui ont lu la première enquête du commissaire Léon, Madame Édouard (Paris, Vauvenargues, 1999), qui repose sur une énigme assez semblable.

[14] Nadine Monfils, Coco givrée, op. cit., p. 29.

[15] Ibid., p. 137.

[16] Ibid., p. 82.

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A propos de l'écrivain

Nadine Monfils

 

Ecrivaine et réalisatrice belge