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My Absolute darling, Gabriel Tallent

Ecrit par Yann Suty 20.03.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Gallmeister

My Absolute darling, mars 2018, trad. américain, Laura Derajinski, 460 pages, 24,40 €

Ecrivain(s): Gabriel Tallent Edition: Gallmeister

My Absolute darling, Gabriel Tallent

 

Mon père, ce salaud. La vie n’est pas facile pour Julia, quatorze ans, alias Turtle, que son père surnomme Croquette. Elle vit dans un trou de la côte nord de la Californie, dans des paysages pittoresques, parfois hostiles, dans une maison délabrée et crasseuse. Un univers white-trash qui est aussi un décor littéraire des plus réjouissants.

Turtle est sauvage. Elle préfère se tenir à l’écart des autres. Mais c’est aussi son père qui lui a imposé cette conduite. Elle est obligée d’aller au lycée, mais repousse quiconque tente de briser sa carapace. Ses meilleurs compagnons sont ses armes, pistolets et fusils dont elle ne se sépare jamais, et qu’elle passe son temps à démonter et à remonter. C’est une tireuse experte, capable de loger une balle dans une pièce de monnaie à plusieurs dizaines de mètres de distance.

Sa mère est décédée quelques années plus tôt dans des circonstances mystérieuses. Turtle est sous l’emprise d’un père aussi charismatique que brutal, qui lui impose des exercices physiques rudes pour affronter l’apocalypse ou ce qui y ressemblera et font passer le camp d’entraînement de Full Metal Jacket pour un camp de boy-scout. Très vite, on se rend compte (de façon explicite) que père et fille ont une relation incestueuse.

Le malaise est là. Outre le sordide de la situation, il met aussi le personnage principal dans une situation de victime pour laquelle on ne peut forcément que compatir. L’effet peut être facile. D’emblée, donc, Gabriel Tallent se met dans une position d’équilibriste, mais, globalement, il réussit à avancer sans basculer dans le voyeurisme.

« Ce n’est pas parce que tout le monde croit en quelque chose, ce n’est pas parce que tout le monde y croit sauf toi, que tu as forcément tort ».

Tout l’enjeu de l’histoire sera, dès lors, de savoir comment la jeune fille va réussir à s’opposer à son père qu’elle aime et admire tout autant qu’elle craint, comment elle va réussir à s’émanciper, échapper à son emprise sachant que toutes ses tentatives pour s’éloigner sont réprimandées de façon effroyable. My Absolute darling est un livre de survie, mais aussi d’évasion.

Gabriel Tallent excelle pour décrire les paysages. Les personnages se débattent dans un monde où tout a un nom et doit être décrit avec précision. Le tout est superbement rendu par la traduction de Laura Derajinski. Le décor est fascinant et devient un personnage à part entière du roman. Les descriptions sont fines et subtiles, touchées par moments par une grâce quasi poétique. On peut reprocher à l’auteur d’en faire un petit trop, notamment dans les scènes d’action où il ne peut s’empêcher de rajouter de nombreux passages pittoresques qui, du coup, ralentissent un peu le rythme.

« L’aube est à peine levée. Les longues tiges humides de fétuques rouges s’inclinent au-dessus d’elle. Turtle est allongée et observe à travers la lunette. Tout près du fusil, elle sent l’odeur de graisse et de poudre. Autour d’elle, le pré est lourd de rosée, la brume se détricote le long de la colline. A mesure que la journée se réchauffe, les longues tiges voûtées par les gouttes de rosée se démêlent soudain et jaillissent vers le ciel, leurs têtes gonflées de graines s’agitent. Il n’y a pas le moindre nuage dans le ciel, à l’exception d’une unique et lointaine lenticulaire que la brise ballote et déchire en lambeaux ».

Et le livre a, globalement, un petit problème de rythme. Il peine un peu à démarrer avant de trouver sa vitesse de croisière, mais peine aussi à se terminer, comme si l’auteur avait du mal à lâcher son personnage. Et c’est vrai que la petite Turtle est assez fascinante. C’est une créature blessée, sous la coupe d’un père qui la prend pour sa « chérie absolue » tout en la traitant de « connasse ». Il en a fait aussi une guerrière. Elle est à la fois très mature et débrouillarde, un mix de McGyver et de Rambo, mais avec une innocence des enfants de son âge. L’auteur en rend parfaitement compte, en racontant les choses à la troisième personne et en recourant à la première personne afin de mettre en lumière les pensées de l’adolescente.

Le père est également un personnage hors-normes. Loin du bouseux white trash de bas étage, c’est un érudit, amateur de livres de philosophie, mais blessé par le cours de sa vie et qui s’est mué en une brute épaisse, incapable de réprimer ses pulsions, quitte parfois à sombrer dans un côté grand-guignol un peu exagéré, comme si tout ce qu’il faisait subir à sa fille ne pouvait être que trop gros pour être vrai.

 

Yann Suty

 


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A propos de l'écrivain

Gabriel Tallent

 

Gabriel Tallent est né en 1987 au Nouveau-Mexique et a grandi en Californie. Il a mis huit ans à écrire My Absolute darling, son premier roman, qui a aussitôt été salué par la critique aux Etats-Unis. Il vit aujourd’hui avec sa femme au Nouveau-Mexique.

 

A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock