Muss, suivi de Le Grand Imbécile, Curzio Malaparte
Muss, suivi de Le Grand imbécile. 02/2012. 224 p. 18 €
Ecrivain(s): Curzio Malaparte Edition: La Table Ronde
Le savoir donne d’emblée le genre et la tonalité du contenu : une biographie satirique du dictateur, que l’auteur a commencé à rédiger en 1931, à laquelle il a travaillé de manière intermittente jusque dans les années cinquante, et qui n’a jamais été achevée.
Muss mêle tout à la fois l’essai politique, la satire violente, le pamphlet, et des fragments de récits autobiographiques concernant les relations personnelles, conflictuelles, entre le dictateur et l’écrivain engagé, qui fut membre et grand théoricien du Parti Fasciste Italien avant de s’affirmer comme l’un des plus farouches opposants au mussolinisme.
Dans un style flamboyant, Malaparte accumule les attaques virulentes contre le Duce et son régime, et, en parallèle, contre Hitler et le nazisme, en utilisant la dérision et la caricature.
« Mais Hitler a-t-il vraiment l’étoffe d’un grand homme ? D’après Mussolini lui-même (qui doit avoir une certaine expérience des grands hommes de son espèce), on pourrait croire qu’Hitler n’est rien d’autre qu’un homme assez gras, de taille moyenne, aux moustaches ridicules, qui marche en se dandinant, et dont la seule force consiste en sa capacité à se faire passer pour une sorte de Jules César tyrolien. Ce jugement de Mussolini serait peut-être juste s’il n’était entaché d’une pointe de jalousie. On pourrait de toute façon objecter que Mussolini aussi est un homme gras, de taille moyenne, qui marche en se dandinant, et dont la seule force consiste à se faire passer pour une espèce de Jules César à la veille de la conquête des Gaules » (page 47).
Pour Malaparte, Mussolini a dévoyé la révolution fasciste pour la seule satisfaction de son ego.
« Or, pour Mussolini, la dictature n’était que le moyen d’imposer aux Italiens l’idolâtrie de sa personne» (page 87).
La haine de l’écrivain s’exprime à son paroxysme, en des phrases à la fois lyriques et crûment réalistes, lorsqu’il relate les exactions dont il a lui-même été victime :
« Tu ne sais pas combien je t’ai haï, Muss. Combien de fois je t’ai craché à la gueule, dans ma cellule de Regina Coeli, la cellule n° 461 du 4e secteur, dans la puanteur des punaises et de la moisissure, dans l’odeur des excréments qui s’exhalait du seau… » (page 120).
Mais la mort refait du tyran un homme, devant la dépouille de qui Malaparte oublie sa haine pour déplorer la lâcheté collective :
« Ce qui comptait, c’était qu’il était un vaincu, que tous l’avaient renié, qu’ils l’avaient tué comme un chien, pendu par les pieds, couvert de crachats et d’urine, au milieu des hurlements féroces d’une foule immense qui, la veille encore, l’applaudissait, lui lançait des fleurs par les fenêtres » (page 145).
Le Grand Imbécile est une mise en scène burlesque de la rébellion imaginaire de la cité du Prato, chère au cœur de l’auteur, contre un Duce grotesque à qui les Pratois opposent une chatte, attachée sur les remparts selon une ancienne tradition.
Les cinéphiles y revivront l’épisode du film 1900 de Bertolucci, dans lequel le fasciste éventre d’un coup de tête une chatte pendue à un mur.
L’écriture y est d’une admirable fluidité, le texte semble avoir été rédigé d’un seul trait de plume, la charge contre le dictateur y est continue, exacerbée, soutenue par une expression ponctuée d’invocations, d’exclamations : un long cri, un défoulement, un soulagement vomitoire, libératoire, sur cinquante pages qui se lisent sans reprendre souffle.
Patryck Froissart
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