Mousseline et ses doubles, Lionel Edouard Martin
Mousseline et ses doubles, septembre 2014, 293 pages, 17 €
Ecrivain(s): Lionel-Edouard Martin Edition: Les éditions du Sonneur
Un auteur dont on a aimé, dans de précédents livres, les thèmes et l’écriture, l’originalité. Petite musique, qui lui est propre ; discrète, fine, pour autant marquée ; française, dirons-nous, de belle facture… On ne peut donc que s’être arrêté devant son nouveau livre, et son titre mystérieux, cette Mousseline, une femme, un tissu ? On n’a pas regretté.
Livre à part, dans son déroulé hyper classique de petite saga familiale, traçant son chemin travaillé, des campagnes de la fin du siècle XIX, aux guerres, dont celle d’Algérie, pour échouer – retour aux champs – sur le perron de la maison familiale, « d’où, ces soirs de causette, tes mots sourdaient, tandis que nous sirotions la liqueur de cassis, parmi l’effondrement des bûches, dans cette demeure mal close au vent du nord, où sur la toiture, sifflait cette tuile, appelée localement tuile aux loups… ».
Dialogue continu – mezzo voce – entre l’écrivain, l’enfant unique issu de cet étrange arbre qui compte tant de branches mortes – la grand-mère, partie quasi en couches, le compagnon de la tante, ce formidable Joseph, creusant le bois, surtout les deux parents avalés par Agadir en 60 – et, autre surgeon à l’autre bout de son âge : la tante, cette Mousseline, qui habite le roman, de jolie façon, sans emphase inutile, d’humaine et poétique allure. Dans les livres qu’on ouvre, on lit souvent en compagnie de pères, de mères ! n’en parlons pas, de quelques sœurs ou encore cousines, mais dans le jeu des familles littéraires, de tantines, pas souvent… Alors celle-ci, cette Marielle devenue Mousseline (allez voir !), on la suit volontiers, d’enfance à l’ombre sombre du vieux Paul, le père, qu’on a – si on connaît ces années d’après-guerre – l’impression d’avoir rencontré au coin d’un chemin de village. On vole avec elle – subtilement féministe, dans ses désirs, ses allants, jusqu’à Paris, ses quartiers ouvriers ou artisans, au large du Père Lachaise… belle ode, du reste, à ce Paris-là, que dessine Lionel Edouard Martin. On se fait discret pour voir éclore son histoire d’amour – belle, émouvante, sans gnangnan aucun, avec son « Joseph » le menuisier artiste, qui fait parler le bois. On rit, on chante avec elle, du Piaf, du Montand ; on pleure aussi bien sûr, mais « en vrai », pas à la théâtrale. Et le temps de la grande Histoire – comme le veut la saga réussie – s’invite au repas, mais, en fond d’écran, un peu flouté parfois ; un regard – leur regard, qu’on découvre étonné : ainsi, le père de l’écrivain, soldat qui devient amoureux des paysages d’Algérie, au point de vouloir y vivre, dans le même jet que son incorporation ; est-ce ainsi, décalé, qu’on se représente le ressenti des troufions de l’époque ? « on a bien tort de dire que la situation sur place est tendue. Ma parole, c’est des bêtises tout ça, des racontars de journalistes. Des felouzes – où ça donc ? ».
Quelque chose de nostalgique ; soupçon de mélancolie ; feuilles des automnes doux-amers, an après an… mais, bien plus… Livre de ces climats de familles, qu’on aime en pointillé, qu’on supporte, sans tapages. Ici, livre de couples – le père et la mère définitivement stoppés dans la pleine jeunesse de photos sépias ; le grand-père et sa défunte femme, comme une moitié de ménage continuant son chemin ; Mousseline, son Joseph, le drame arrêt sur histoire… le préféré, sans doute de chacun d’entre nous, et… le neveu et la tante, comme deux branches survivantes de l’arbre fauché. La vie, comme elle va, encore. Et, puis, puissante et belle, la vision de la mort, de ces tombes, qu’on visite, de ces défunts à qui on raconte la journée. Vaille que vaille, vivre avec et s’accommoder d’elle, « ne dis pas – chez nous, dis – chez les nôtres, expression plus vague, plus inclusive ; on y loge tout notre monde, les morts, les absents, les vivants. J’habite chez les nôtres, même si notre tombe n’héberge pas tous nos morts, elle est proche, elle peut m’entendre ; mon père et ma mère, c’est moi leur caveau, comme est leur caveau, ce roman, que j’écris » dit l’écrivain, et l’on voudrait murmurer à Lionel Edouard Martin, en refermant son beau livre : « ces gens, vous les connaissez ?
On s’attend, le cœur battant, à la réponse.
Martine L Petauton
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