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Montréal, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 29.05.18 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Montréal, par Kamel Daoud

 

 

A Montréal. Sous le ciel gris d’un hiver qui tarde. D’habitude, raconte-t-on, la neige est déjà là mais pas cette fois. Le Québec est peut-être le troisième pays des Algériens. Pour ceux qui y vivent, pour ceux qui en rêvent. Il a la langue française, sans le mal français aux yeux des voyageurs algériens. On y parle le français sans y ressentir l’histoire. Un pays nu et neuf. Avec des arbres immenses, de la neige qui suspend le temps, des diversités qui apaisent la peur d’être étranger et des villes belles avec des noms proches des prénoms de chacun. Donc, on y vit bien, dans cette France-bis épargnée par le procès de la colonisation/décolonisation. On est en France sans le poids de la France et on est en Algérie sans les guerres d’Algérie. Et on est même en Amérique.

Heureux ? Oui, beaucoup d’Algériens vous le disent : « ici, j’ai la paix ». Etrange qu’il faille se faire coloniser trois mille ans, se battre sept ans, connaître la libération puis se sentir toujours vivre la guerre : chez soi, en soi, avec les siens, dans la rue, etc. C’est qu’au plus profond, ce fut une erreur de viser l’Indépendance sans viser en même temps le Bonheur, dans la déclaration de Novembre. D’ailleurs pourquoi la Déclaration ne parle pas de bonheur mais seulement de justice ? Peut-être que nous rêvons de liberté depuis toujours, quant au bonheur, c’est la mort qui nous le promet dans nos cultures. Ici, les Algériens vous parlent toujours de leur première raison d’exil : sauver leurs enfants, ou leurs enfants à venir. Donner une terre à la semelle. Un arbre à la fatigue, un mur à la peau nue et un visage à un lendemain. C’est simple : on ne peut recommencer l’Algérie en Algérie, alors on la recommence ailleurs. Slogan du partant. Sans culpabilité ? Parfois : c’est dur de quitter une terre et d’y laisser les siens, ses années et des parfums. Tout exil est un arrachement. On le sait depuis Ovide. Le visage se transforme en brume quand on pose la question à beaucoup d’Algériens ici sur comment ils vivent l’éloignement volontaire : défense de la paix comme but de la vie mais regret douloureux sur ce qui a poussé à partir. Vieille réaction de la peau face à l’horizon. Passons.

L’hiver est ici comme la sécheresse ailleurs : on en parle toujours, il scande le Temps et divise l’année en deux. On l’attend. Du côté du fleuve, l’air est tellement pur qu’il incendie le poumon quand le ciel s’éclaircit. La pierre des maisons est ancienne. Des enfants passent, amusés par les fausses cornes de cerfs qu’ils portent. La fête est imminente.

Il existe des pays de recommencements.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015