Mon tour du monde, Charlie Chaplin
Mon tour du monde, Charlie Chaplin, trad. anglais Moea Durieux, novembre 2017, 216 pages, 6,90 €
Ecrivain(s): Charlie Chaplin Edition: Le Livre de Poche
En janvier 1931 à Los Angeles sort Les Lumières de la ville. Ce film muet rencontre le succès attendu, après Le Kid (1921), ou La Ruée vers l’or (1925). Charlie Chaplin est célèbre. Mais en crise. Il a des soucis personnels et financiers, et il est perturbé par l’arrivée du cinéma parlant. Il fait ce constat : « L’amour et les gens me lassent ». Il décide de prendre l’air. « J’ai besoin que soient ranimées mes émotions ». Le 13 février 1931 il part pour l’Angleterre, pour un voyage de quelques semaines qui va en fait durer seize mois (13 février 1931-16 juin 1932) et le conduire autour du monde. Au retour il publiera A comedian sees the word dans une revue américaine.
Le voyage commence par l’Angleterre, pays de son enfance, « époque la plus malheureuse de ma vie ». Il y retrouve son ami Winston Churchill, et d’autres célébrités de la politique ou du spectacle. Il poursuit par les Pays-Bas jusqu’à Berlin, où il croise Marlene Dietrich et Einstein, et où il constate que « la situation semble désespérée, l’avenir bien sombre ». Puis c’est Vienne, une ville « triste ». Détour par l’Italie, « une Californie miniature et âgée ». Malgré la foule considérable qui l’accueille, ici comme ailleurs, Chaplin vit le paradoxe de la célébrité : « Ces manifestations sont un immense hommage, j’en ai conscience, mais tout le monde éprouve parfois l’envie d’être seul ».
À Paris il croise Pierre Henri Cami ou Paul Morand, mais est surtout pris dans un tourbillon mondain, entre « dîners dansants, des soirées au théâtre, au cabaret ». La Côte d’Azur, déjà surpeuplée, le déçoit. Le voyage se poursuit par Alger, Nice, Biarritz, puis Londres de nouveau, où il rencontre Gandhi. C’est à Londres, où il revoit certains lieux de son enfance qu’il conclut au moins provisoirement : « J’ai atteint mon but : j’ai réinvesti le passé et reconquis ma jeunesse ». Il fait un saut à Saint-Moritz, autre lieu mondain, où Douglas Fairbanks l’initie au ski. Mais il n’apprécie pas ces régions montagneuses. Il préfère Rome, toujours « dans un éternel tourbillon d’excitation et d’expectative ». Chaplin embarque à Naples pour une traversés vers l’Orient. Colombo, Singapour, Batavia (où l’utilisation des chasse-mouches lui donne des idées comiques pour ses films), Bali, où « loin du reste du monde » il a le sentiment de « revenir à son état naturel ». Dernière escale, Kobe, au Japon, où « trois mille personnes nous attendent sur le quai ».
Ce récit de voyage est à première vue surtout un récit d’anecdotes et de rencontres, souvent mondaines, parfois enrichissantes pour Chaplin sur le plan intellectuel ou artistique, et d’occasions de parler cinéma. C’est aussi le récit d’un touriste : « J’ai l’âme d’un touriste, car j’aime visiter les endroits où l’histoire s’est écrite ». Il aime voir, visiter : « De l’empathie, de la sensibilité pour les choses, voilà ce que je cherche à éprouver ». Enfin, dans ce récit, Chaplin revient sur la naissance de Charlot, un solitaire, et, tout au long de ce voyage, se pose des questions sur la célébrité, sa célébrité. « Au début, c’était un plaisir, cela devint un devoir, puis finit par être une corvée. J’avais certes aspiré au succès et à la célébrité, mais n’étais pas préparé à les accueillir à une telle échelle ; par ailleurs leur soudaineté m’affolait ». En Europe comme à New-York ou à Los Angeles, Chaplin se sent souvent seul, déprimé. « Tout le monde me connaissait et je ne connaissais personne ». Les réflexions sur cette dualité solitude/célébrité, composante de la tendance dépressive de Chaplin (thème d’un roman de Michael Köhlmeier, Deux messieurs sur la plage, dont certains chapitres, notamment avec Churchill, se déroulent durant ce voyage) sont des moments importants de ce récit, qui permettent, peut-être, de mieux comprendre Chaplin (Charlot) et son œuvre.
Lionel Bedin
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