Mon Siècle, ma jeunesse, Anatoli Mariengof (par Gilles Banderier)
Mon Siècle, ma jeunesse, Anatoli Mariengof, octobre 2019, trad. russe, Anne-Marie Tatsis-Botton, 358 pages, 23 €
Edition: Editions Noir sur Blanc
Anatoli Mariengof (1897-1962) est une figure mineure des lettres russes au XXe siècle et – sauf réévaluation toujours possible – devrait le rester. Mais, précisément, c’est ce caractère de minorité qui le rend intéressant. Il est en effet connu que les « petits maîtres » réfractent plus exactement l’esprit de leur époque que les auteurs de tout premier ordre. On ne sait pas si Nizan a eu raison en disant qu’avoir vingt ans n’est pas le plus bel âge de la vie. Quoi qu’il en soit, Mariengof fêta ses vingt ans lorsque la révolution bolchévique bouleversa de fond en comble son vaste pays. Les années qui précédèrent et suivirent cet événement cardinal (au sens premier de l’épithète) furent, en Russie comme ailleurs, des années d’intense bouillonnement intellectuel. Comme un fin sismographe, les mémoires de Mariengof captèrent et restituèrent cette vie spirituelle. Leur auteur connut à peu près tous ceux qui comptèrent au plan artistique durant cette période. Il parvint à la traverser et, ce qui est le plus important, à y survivre et réussit à mourir de mort naturelle (la mort est-elle naturelle ? c’est un autre débat).
Ceux qui l’entouraient s’efforçaient (ils ne pouvaient faire autrement) de comprendre l’ordre nouveau à l’aide de catégories anciennes et ce n’était pas forcément la plus mauvaise manière de procéder ; ainsi lorsque le directeur du lycée où Mariengof étudia montra que « les bolchéviques mettent en pratique les grandes idées de Platon et d’Aristote » (p.71). Formé par l’excellent système scolaire tsariste (une excellence que le nouveau régime se gardera de renier), Mariengof connaît ses classiques, a lu Montaigne (p.74) et en a tiré une sagesse mesurée (p.77), la seule valable, peut-être, en des périodes aussi effrayantes. Sa remarque sur son ami Essenine (« Essenine avait été attiré non par Isadora Duncan, mais par sa gloire mondiale. C’est sa gloire qu’il avait épousée – et non la femme d’un certain âge, alourdie mais encore belle, avec ses cheveux artistement teints d’un rouge très, très foncé. Il était flatté de marcher dans les rues de Moscou au bras de cette célébrité mondiale », p.236) est parfaitement juste ; Essenine, qui se pendit après avoir composé un ultime poème (p. 268), en trempant la plume dans son propre sang (voir le fac-similé dans le Journal d’un poète, La Différence, 2004, p.256). Les mémoires de Mariengof valent moins en tant qu’œuvre autonome que par les renseignements et les éclairages qu’ils fournissent.
Gilles Banderier
Poète, romancier, dramaturge et scénariste, Anatoli Mariengof (1879-1962) fut l’une des figures de proue de l’imaginisme.
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