Mon cœur restera de glace, Éric Cherrière (par Jean-Jacques Bretou)
Mon cœur restera de glace, Éric Cherrière, janvier 2020, 192 pages, 18 €
Edition: Belfond
Lucien Faure est boulanger de son état et maire d’un petit village de haute Corrèze. Il a perdu son fils au cours de la première guerre mondiale, et de ses deux petits-fils l’un est rentré gueule cassée, et l’autre, le plus jeune, s’est enfuit avec ce dernier dans le bois de sapins épais, profond, non loin de la commune avec le fusil familial. On ne les reverra plus. En janvier 1944, les enfants du village ont repéré le bruit des moteurs des camions Mercedes-Benz L4500A, ceux avec le viseur sur le bout du capot avant. Les Allemands sont de retour. Une colonne de leur convoi va disparaître, être engloutie, les camions éclipsés, par cette forêt épaisse et ténébreuse. Mais, pour cette perte dans cette maudite végétation, les Allemands demandent des comptes, exigent des rétorsions. Il faut vingt-trois morts, de préférence des Juifs. On trouvera des Juifs dans une planque du four à pain du boulanger, on complétera avec des habitants qui n’ont pas l’air « très catholiques ». Et puis après avoir arrosé tout ça avec de l’Alkohol, sous la direction de Lothar von Wissen, on reprendra la direction des bois dans lesquels on s’enfoncera avec pour guides et otages le maire et une dizaine d’autres habitants.
Il y a deux fils narratifs sur trois temporalités dans cette histoire. L’un est bâti en 1918, puis janvier 1944 en haute Corrèze, l’autre se situe en 2020 à Hambourg. Il y a d’un côté la famille Faure et ses descendants, et de l’autre côté la famille Stolker, et mourant, le corps envahi de tumeurs cancéreuses, le caporal Stolker qui a survécu à la deuxième guerre mondiale. Cependant, miracle, Stolker va mieux, il peut s’exprimer et réclame la présence du dernier des Faure pour tenter d’expliquer ce qui a pu se passer au cours de la guerre. Effectivement, au contact du dernier survivant de la lignée des Faure, entouré de médecins qui sont étonnés par la disparition progressive des tumeurs et de son Alzheimer, et d’historiens qui prennent des notes, il va parler.
C’est une histoire que nous raconte Cherrière, ça n’est pas un roman. Une histoire douloureuse, celle d’une humanité en guerre, déchaînée, tellement cruelle qu’il va chercher dans la poésie les silences, les déchirements, les hurlements que le conte ne peut plus rapporter. C’est l’histoire d’un homme qui a dû d’abord tout oublier pour pouvoir relater ce qu’il a vu et vécu. La forêt est l’endroit maudit où tout s’est déroulé, une parenthèse dans l’espace et le temps, un lieu habité par le Croquemitaine comme disent les enfants et ici les adultes. Le seul nom qu’il ont trouvé pour désigner le mal le plus terrible, ou celui qui l’incarne. Un livre sombre.
Jean-Jacques Bretou
Éric Cherrière est réalisateur, scénariste et écrivain. Il est l’auteur de : Je ne vous aime pas (Le Cherche Midi, 2010, Prix du Polar de la prison de la Santé) et de L’inconnu (Belfond, 2019). Il a réalisé le film Cruel (2014), qui a reçu le Grand Prix au Festival de Cognac en 2016.
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