Mise au point, Entretiens Fabien Ribery, Didier Ben Loulou (par Philippe Chauché)
Mise au point, Entretiens Fabien Ribery, Didier Ben Loulou, Arnaud Bizalion Editeur, juin 2019, 88 pages, 18,50 €
« La quête est ici de l’ordre de l’indicible et d’une levée de voiles, de l’accueil du fragile comme puissance et d’une recherche d’unité quand la parole commune est devenue assassine », Fabien Ribery (Des intensités de mystères en introduction aux Entretiens).
« Il faut aller puiser au plus profond de soi pour être capable de la moindre image. Cela oblige à une sorte de tabula rasa de tous nos repères, à une concentration extrême. On avance sur un fil, dont on peut chuter à la moindre perturbation. On passe des journées sans prononcer un mot. Le travail sur les lettres hébraïques parle de prendre des images où l’écriture arrive comme un surgissement », Didier Ben Loulou.
Mise au point est un livre de photographes. L’un, Fabien Ribery, interroge l’art photographique dans son blog, son livre ouvert, baptisé L’intervalle, l’autre, Didier Ben Loulou, photographie depuis plus de trente ans Israël et la Méditerranée, et ne cesse de questionner cette œuvre en mouvement, c’est de leurs échanges parisiens qu’est né ce livre.
Mise au point est un livre qui provoque de menues jubilations (Roland Barthes, La Chambre claire), le plaisir de regarder les photographies de Didier Ben Loulou (villages, lettres hébraïques, visages plongés dans la lumière rouge), de lire ces échanges profonds et subtils, sur l’acte de photographier, ses raisons, ses doutes et finalement ses passions éternelles. Mise au point se nourrit du savoir de l’amateur de photographies, des saveurs du photographe arpenteur des rives de la mare nostrum, et inversement. Le beau souci des photographes est la mise au point, rendre de la netteté et de la lumière (la lumière permet de voir juste), le point donne à voir ce qui est en train d’être fixé par le photographe dans l’œil de l’appareil. L’œil voit, et l’image doit montrer ce qui est vu. Mise au point est le livre de la Mémoire, celle des lettres carrées, des pierres tombales, des visages, des rues de Jérusalem, le livre du Livre partagé, des doutes, des colères, des amours, des saisissements, des obstinations, de la grandeur d’un Pays, des rives ombrageuses de la Méditerranée qu’arpente le photographe, et des images cadrées et révélées.
« Tandis que j’empruntais un chemin au bout duquel je découvrirai d’anciennes inscriptions sur le bleu d’une pierre tombale, entre les buissons, je compris que j’étais en quelque sorte conduit. J’avais l’impression d’entrer dans un royaume dans lequel on m’indiquait à de rares moments ce que j’avais à photographier. Ce fut une expérience troublante : une part d’invisible, d’irrationnel, agissait sur moi », Didier Ben Loulou.
Mise au point est le livre de l’apprentissage du photographe en devenir, en sommeil comme l’on parle de nature endormie, de l’expérience du kibboutz, de l’étude de la pensée hébraïque – Je fus témoin de débats passionnants entre Benny Levy, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut, autres fondateurs de l’institut (Institut d’études levinassiennes de Jérusalem). « C’est l’un des rois cachés de notre temps », a pu dire de lui BHL –, de l’immersion en Grèce et aujourd’hui en Corse, de la solitude, du passage du noir et blanc et à la couleur, de la peau, de Jérusalem et de Jaffa.
Le photographe se dévoile, soulève ce drap noir qui l’enveloppait, comme les premiers photographes munis de ces chambres photographiques se protégeaient de la lumière pour la saisir à travers l’objectif fixe de leur appareil. Ce dévoilement, Didier Ben Loulou déjà l’opérait notamment dans Un hiver en Galilée (1) – Le sommeil des objets, des lettres gravées dans la pierre, chaque photographie doit le recueillir sur cette autre rive qui est celle de ce regard intérieur. Le photographe se définit comme un contrebandier qui se demande comment habiter le monde, à partir de quoi le regarder, le contempler, malgré la finitude. Il faut se souvenir qu’à la frontière pyrénéenne entre la France et l’Espagne, les contrebandiers avaient très bonne réputation, les basques les nommaient les travailleurs de la nuit. Didier Ben Loulou et Fabien Ribery sont deux travailleurs de la nuit, dont la pensée pour l’un, les photographies pour l’autre, éclairent la nuit et la rendent poétiquement habitable.
Philippe Chauché
(1) http://www.lacauselitteraire.fr/un-hiver-en-galilee-et-sud-didier-ben-loulou-par-philippe-chauche
Didier Ben Loulou a notamment publié Un hiver en Galilée (Arnaud Bizalion Editeur), Sud (La Table Ronde), Sincérité du Visage, et Jaffa, la passe (Filigranes), Jérusalem (Editions du Panama), Athènes(La Table Ronde), Marseille (Arnaud Bizalion Editeur/le garage photographie).
Fabien Ribery est enseignant, publie dans de nombreuses revues sur la photographie et les photographes (Filigranes Editions, Arp2 Publishing, Les Editions de Juillet…) et anime le site https://lintervalle.blog/
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