Miscellanées des fleurs, Anne-France Dautheville (par Delphine Crahay)
Miscellanées des fleurs, Anne-France Dautheville, mars 2020, 144 pages, 15 €
Edition: Buchet-ChastelQuand Colette parle des fleurs, c’est un enchantement et c’est de la littérature, que ce soit dans ses récits, dans des chroniques ou dans Pour un herbier (La guilde du livre de Lausanne, 1953). On pourrait lui reprocher son anthropomorphisme, son maniérisme stylistique et, peut-être, une forme de mysticisme – nous n’y songeons pas, n’étant pas encore délivrée de notre idolâtrie.
Mais tout le monde n’est pas Colette et il n’en va pas de même du livre d’Anne-France Dautheville, bien qu’il ne soit pas, loin s’en faut, dénué d’intérêt.
Il rassemble de brèves chroniques d’un intérêt inégal, qui mêlent botanique, anecdotes, légendes, références littéraires, mythologiques et historiques, considérations étymologiques et notations sur la symbolique et le langage des fleurs. Il y est question des atours et des métamorphoses des fleurs, de leurs inépuisables ressources, de leurs mœurs et de celles des insectes qui les fréquentent, mais aussi de leurs ruses et de leurs tours, des trompe-l’œil et autres subterfuges qu’elles fomentent, retorses, pour abuser la naïveté des butineurs et assurer leur survie et leur reproduction, ce qui témoigne de la sagacité et de l’à-propos de la nature – autant, sans doute, que d’un certain arbitraire dans la distribution de la perspicacité.
Ces miscellanées intéresseront le curieux et l’amateur, qui y glaneront toutes sortes de renseignements, tantôt étonnants : une espèce guyanaise, Hirtella physophora, accueille dans de petites poches de ses feuilles une fourmi du nom d’Allomerus decemarticulatus, en échange de quoi celle-ci attaque les ennemis de son hôte. Mais il arrive que, prise de frénésie, elle en dévore les fleurs, sachant que la plante consacrera son énergie à produire plus de feuilles. Le châtiment ne se fait pas attendre : Hirtella produit des feuilles aux poches trop petites pour y loger la fourmi. Tantôt curieux : il est certaines fleurs, qualifiées de muettes, dont il est impossible, quelle que soit la technique employée, y compris celles de Jean-Baptiste Grenouille, de prélever le parfum, notamment le muguet, la violette, le seringa et le chèvrefeuille. Tantôt drôlets : la renoncule est ainsi, étymologiquement, une petite grenouille. Et tantôt d’un grand secours pour jouer les doctes jardiniers ou les amoureux de la nature, ou encore répondre aux questions pour un champion de la botanique : on apprend par exemple à distinguer le rhododendron de l’azalée.
L’ensemble, qui illustre notre tropisme anthropomorphisant et la façon dont la science est biaisée, infléchie ou déterminée par le Zeitgeist, est à la fois instructif – quoique nous ne soyons pas en mesure de juger de l’exactitude des propos d’ordre scientifique – et divertissant. L’écriture est simple et fluide, non dénuée d’un certain agrément, mais le propos n’évite pas les clichés – ce qui est une gageure, nous le savons bien, et il se peut que nous ne soyons pas en position de formuler ce reproche – et l’humour est facile et assez convenu. On trouve aussi, çà et là, des encadrés dont l’intérêt et la pertinence nous échappent – ainsi des « informations scientifiques à l’usage des enfants », bêtifiantes, ou des questions culturelles pour Trivial Pursuit.
Il faut dire un mot enfin de l’objet : chaque page est ornée d’illustrations représentant tel ou tel élément des chroniques – fleur, bateau, animal, philosophe… Très, trop nombreuses, elles ne nous semblent pas toujours opportunes et certaines sont d’une inutilité qui confine à l’incongruité comique – à quoi bon représenter une dinde parce que la fleur dont il est question est surnommée, entre autres, « herbe à dinde », ou un microscope parce qu’il est mentionné dans le texte ?! Elles sont aussi très communes, stéréotypées, et leur esthétique keepsake ou scrapbooking dépare l’ouvrage. Nous ne pouvons nous empêcher de les comparer à celles de Vanessa Damianthe pour Le grand rêve des floraisons, de Dhôtel, paru dans la collection De Natura Rerum de Klincksieck – et cela vaut peut-être pour tous les titres de cette belle collection… De même, le propos de Dhôtel est d’une toute autre tenue et teneur, lui qui parle, à propos des fleurs, d’une « réalité inadmissible qui soit en même temps animée et perdue dans le néant », réalité qu’il explore selon des méthodes sans doute peu orthodoxes mais fécondes – à tout le moins sur le plan poétique, ce qui se passe de tout autre titre.
Il n’empêche : ceux que les curiosités du monde végétal intéressent et qui ne sont pas versés dans la science liront avec profit et agrément le livre d’Anne-France Dautheville – mais nous leur conseillons très vivement le petit livre de Dhôtel.
Delphine Crahay
Née en 1944, Anne-France Dautheville est journaliste et écrivaine. Audacieuse et téméraire, elle est aussi la première femme à avoir accompli, en 1973, un tour du monde à moto. Ses livres sont, entre autres, des relations de ses voyages, et elle est également l’auteure de Miscellanées des plantes et Miscellanées de mon jardin, parus tous deux aux éditions Buchet-Chastel.
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