Minus, Lapsus et Mordicus Nous parlons tous latin sans le savoir, Henriette Walter
Minus, Lapsus et Mordicus Nous parlons tous latin sans le savoir, septembre 2015, 432 pages, 8 €
Ecrivain(s): Henriette Walter Edition: Points
Consigne de lecture : dénombrer les mots latins, en ce inclus une recomposition tardive plaisante, que contiennent les deux paragraphes suivants :
« Au milieu du campus, près du muséum, et devant notre sponsor, j’avais soutenu mordicus qu’au dernier palmarès, notre duo avait été classé ex-aequo avec celui d’un quidam qui était au summum de sa renommée, mais qui se trouvait là incognito. Malheureusement pour nous, ce dernier, dans un rictus peu amical, nous montra illico son agenda et une série de prospectus spécifiant qu’à l’issue d’un long processus, c’était lui qui avait été déclaré in extremis l’as de la catégorie senior car son curriculum vitae était vraiment super.
Mais motus et bouche cousue ! Personne ne doit se douter que nous n’avons eu qu’un accessit ».
La réponse est vingt-deux, et si vous avez le nombre exact, soit vous vous appelez Henriette Walter (1928) et êtes l’auteur de ce plus que plaisant Minus, Lapsus et Mordicus (sous titré : Nous parlons tous latin sans le savoir), soit vous êtes plus que versé dans la linguistique ; dans les deux cas, lire ce livre ne vous apprendra rien. Si votre score est inférieur à vingt-deux et que ce petit test, extrait de ce livre, a éveillé votre intérêt, alors, lisez-le : vous allez en retirer grand plaisir.
Précisons : pour Henriette Walter, « il ne s’agissait pas ici de prétendre offrir un manuel d’apprentissage du latin » ; malgré quelques incursions utiles dans la grammaire latine (histoire d’expliquer par exemple que « lavabo » est, curieusement, non pas un substantif mais bien la première personne du singulier de l’indicatif futur du verbe « lavare »), rien dans cet essai passionnant n’en interdit la lecture par le quidam simplement curieux de connaître la place du latin parmi les langues vivantes actuelles – la réponse est simple, fournie par Walter : « en quelque sorte un patrimoine international qui a traversé les siècles et les pays ». Certes, pour montrer cette place, il faut effectuer des détours par des listes lexicales parfois fastidieuses, mais qui sont d’essentiels aide-mémoire même pour qui a étudié le latin et sa multiple descendance il y a longtemps de cela.
Que l’on se rassure pourtant, à nouveau : ces listes ne sont pas l’essentiel ici. L’essentiel, c’est de montrer un latin bien vivant, y compris en anglais (par exemple, qui sait que « butler », « majordome », dérive du français « bouteillier » ?) ou en basque, en sus bien évidemment des langues issues de la Romania (français, portugais, italien, espagnol ou roumain, plus tous leurs dialectes), un latin dont Walter détaille les variantes (eh non, ce n’est pas le latin de Cicéron que parlaient les colons romains…) tout en évoquant son prestige au fil des siècles.
Pour ce faire, Walter a écrit un essai aussi clair que concis, parsemé d’encadrés explicatifs et de « récréations » (dont heureusement les solutions sont fournies) qui sont autant de respirations. De même, en fin de volume, on trouve des « Notes et références bibliographiques utiles » et pas moins de quatre index permettant un retour aisé vers telle personne, tel lieu, telle notion ou même tel mot latin. Ajoutons à toutes ces qualités des références pertinentes à Brassens, Rabelais, Molière ou, évidemment, Astérix, et on obtient un essai qui, même s’il s’en défend, est le meilleur plaidoyer possible pour l’étude du latin. Au point même de donner envie de fouiller sa bibliothèque à la recherche d’une vieille grammaire, d’un Gaffiot et d’un Juvénal et d’un Suétone autrefois étudiés afin de dérouiller son latin.
Didier Smal
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