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Miniature ou Les Mémoires de Miss M., Walter de la Mare (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 17.05.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Joelle Losfeld, Iles britanniques, Roman

Miniature ou Les Mémoires de Miss M., Walter de la Mare, trad. anglais, Christiane Guillois, Florence Lévy-Paoloni, 578 pages, 20,30 €

Edition: Joelle Losfeld

Miniature ou Les Mémoires de Miss M., Walter de la Mare (par François Baillon)

 

De prime abord, on sera surpris de savoir que ce roman a pour héroïne une naine. Le talent de Walter de la Mare sait pourtant nous la rendre proche, déployant à l’intérieur du personnage une richesse d’esprit et d’émotions qui, même au-delà de sa taille « hors normes », en fait un caractère proprement exceptionnel.

Le roman nous livre les mémoires fictifs de Miss M., légués à Walter Dadus Pollacke (l’un des rares amis qu’a connus notre héroïne) après que celle-ci a été, selon ses propres termes, « appelée ». Ces mémoires s’arrêtent tout spécifiquement sur la période la plus déterminante de son existence, alors qu’elle a vingt ans, « ces douze mois de ma vie les plus mouvementés, les plus heureux, les plus cruels, les plus chers et les plus noirs ». Très tôt, Miss M. connaît l’épreuve de la douleur en perdant, à peu de temps d’intervalle, sa mère et son père. Contre une somme mensuelle perçue sur l’héritage dont elle dispose, elle est logée et nourrie chez Mrs Bowater.

Tandis qu’elle se sent réduite à un charmant petit monstre ou à une exception de la nature attractive, à peine humaine, l’héroïne aiguise sans cesse son regard, se montre bouleversée ou féroce, en face d’une humanité qui, à bien des égards, ne vaut pas beaucoup plus qu’elle. « Mon travail m’a aussi appris à ne plus me tourmenter sottement comme auparavant de la petitesse et de l’insignifiance de mon corps, mais à craindre bien davantage de demeurer naine dans mon esprit et dans mon âme ».

Ainsi, l’excellence de ce roman tient notamment dans la « dimension » spirituelle que Walter de la Mare prête à son personnage principal : Miss M. est très intelligente, et même précoce, elle aime Emily Brontë et Jane Austen, s’intéresse avec passion à l’astronomie et à la nature qui l’entoure, dont elle ne cesse d’admirer les extravagances. En cela, Memoirs of a Midget flirte de très près avec un univers fantastique : en admettant elle-même qu’elle peut être victime de son imagination, l’héroïne voit les plantes, les insectes et les petits animaux avec une taille pour le moins intimidante : « Les papillons se posaient doucement à côté de moi sur les pierres chauffées par le soleil, comme pour comparer leurs atours aux miens ». Mais Miss M. est également impertinente, narcissique (n’est-ce pas le lot des êtres d’exception ?), égoïste, voire cruelle. Loin de l’angélisme où elle aurait pu être enfermée en tant que « jolie poupée » (elle est minuscule, certes, mais ses proportions et son physique ne sont pas moins harmonieux), elle tire son épingle du jeu dès qu’elle le peut, quand ce n’est pas la souffrance qui la rattrape à d’autres moments.

Cette souffrance atteint un paroxysme avec son amour déclaré pour la fille de sa bienfaitrice, Fanny Bowater. L’irruption de cette jeune fille dans l’univers de Miss M. est l’occasion d’un portrait magistral de la part du romancier : d’un charme magnétique, Fanny éprouve d’abord le besoin d’être conquise intellectuellement et, rapidement, elle ne cache pas ses intentions de réussir socialement. Tout en répondant avec ambiguïté aux avances affectives de « Myrmidone » (il s’agit évidemment d’un amour platonique), elle crée une relation piquante, pleinement consciente de l’amour vorace, obsédant et irrépressible qui secoue la jeune protégée. C’est un amour qui dépasse et dépassera longtemps Miss M. : l’élan même de la vie s’irradie en elle en présence de Fanny, quand cette dernière ne devient pas brusquement une glace ou un poison. Walter de la Mare est cependant trop subtil pour limiter le personnage de Fanny à une incarnation du Mal : les failles de la jeune fille nous révèlent bien plus de complexité. Luce Bonnerot, dans son étude L’Œuvre de Walter de la Mare, Une aventure spirituelle (Editions Didier, 1969), nous dit très justement : « on se demande s’il n’y a pas une large part d’autobiographie transposée dans cet amour, tant il paraît réel ».

Outre l’observation de caractères fascinants auxquels s’ajoutent, entre autres, Mrs Monnerie, le Révérend Crimble ou le mystérieux Mr Anon, outre les rebondissements que sont l’étape à Londres ou l’aventure du cirque, le roman s’auréole de la présence quasi surnaturelle des objets et des couleurs, mais surtout, il semble continûment traversé par le souffle d’une élégie : Miss M., par sa curiosité et son imagination, ne cesse de vouloir comprendre les raisons de sa condition exceptionnelle, de cette place qu’on lui a attribuée, de sa solitude incessante et de son isolement forcé. Dans cet espace toujours au bord du rêve, révélateur du grand poète qu’est aussi Walter de la Mare, elle semble en appeler aux forces supérieures qui nous contraignent et à ce qui se dissimule au-delà d’un splendide ciel étoilé. En cela, ne rejoint-elle pas justement, telle une voix universelle, notre humanité ?

Mario Praz, grand critique littéraire, a dit que « ce roman, le chef-d’œuvre de Walter de la Mare, est l’un des plus magiques et des plus mélancoliques de toute la littérature ».

Memoirs of a Midget parut pour la première fois en 1921 et reçut le James Tait Black Memorial Prize l’année suivante. Ce roman est encore trop peu remarqué. A l’occasion de ses 100 ans, il valait bien la peine de diriger la lumière vers ce qui est incontestablement un chef-d’œuvre, pas si minime qu’il en a l’air.

 

François Baillon

 

Walter de la Mare (1873-1956) est l’auteur de romans, de nouvelles, de contes pour enfants et de nombreux poèmes, ainsi que d’anthologies. Son roman The Return (Prix Polignac, 1911) influença en partie Lovecraft. Très inspiré par Edgar Allan Poe, son univers flirte constamment avec le surnaturel, l’inconscient, les réminiscences de l’enfance et l’au-delà.

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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.