Michel Foucault, Un très beau feu d’artifice, Revue Critique n°835
Michel Foucault, Un très beau feu d’artifice, Revue Critique n°835, décembre 2016, 11,50 €
Edition: Les éditions de Minuit
Michel Foucault à la croisée
Pour un lecteur qui n’a que l’intelligence de deux ou trois livres de Michel Foucault, il est évidemment d’un intérêt supérieur de parcourir le numéro de décembre dernier de la Revue Critique, qui se consacre encore une fois au philosophe, lui qui a rayonné dans le monde, et qui a ouvert des voix de recherches dans le monde des idées. Cette œuvre d’ailleurs n’est pas encore totalement défrichée, sachant qu’il reste des milliers de pages manuscrites, ce qui laisse entendre le travail bibliographique ou génétique qu’il reste à accomplir (même si M. Foucault ne voulait pas de publications posthumes, et a interrogé la question de l’auteur avec virulence). Ainsi, pour ce lecteur dont je parle, le statut même de philosophe est tendancieux, car on voit également chez Foucault un homme de lettres à la croisée de l’histoire, de la phénoménologie, de la sémantique et du structuralisme, et aussi un écrivain tout simplement. Ce n’est d’ailleurs qu’un aspect de la livraison de Critique, dans la mesure où elle colle avec une certaine actualité, celle du passage de l’œuvre de Foucault dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Ce numéro 835 s’ouvre sur un inédit de Foucault, qui provient justement de cette masse volumineuse de textes acquis dernièrement par la BNF. Il traite de la folie à travers deux exemples tirés de choses qui me sont familières (pour moi qui ai suivi en partie un cursus d’Etudes Théâtrales à la Sorbonne Nouvelle) d’une part dans le théâtre baroque et d’autre part dans le Théâtre et son double d’Antonin Artaud.
Puis viennent les contributions des auteurs de la revue, qui prennent deux directions distinctes, appuyées l’une sur des rapprochements de Foucault avec Walter Benjamin, et d’un texte sur Mardi-Gras (avec cette journée du 2 mars 1954 qui semble décisive), et par ailleurs un entretien et une contribution à l’évocation du passage en Pléiade, qui permettent de voir la complexité de cette tâche. Cependant, écrire sur une revue reste un travail de surplomb, une sorte de texte au carré, puisque les articles traitent déjà d’une œuvre pour en synthétiser l’essence, pour voir la chose elle-même dans le motif des auteurs. Le sujet est à la fois donc vaste – l’œuvre de Foucault – et restreint à quelques pages d’articles de fond mais plutôt petits en volume. Je veux dire qu’il m’est impossible de résumer tout cela à deux paragraphes. La seule mesure possible est un arc-boutant de lecture un peu intuitive, qui m’a conduit à découvrir ce numéro en parcourant en désordre, obtenant ainsi une idée plus précise de l’auteur de Surveiller et punir, qui m’avait tant impressionné (autant peut-être que celui de l’Histoire de la sexualité). Ce qui ressort malgré tout, c’est le problème de la discontinuité, du passage de Foucault par la littérature, ou par la psychologie par exemple, et bien sûr la philosophie, ce qui tend à former une œuvre où l’on peut évoluer de façon fragmentaire, par voie d’accès divers, comme une recherche de feu follet, de feu grégeois, l’artifice dynamitant cette forme, provoquant des brisures, des cassures, voire de la violence.
Il refuse qu’on l’appelle « philosophe » ou « homme science » et se présente tout bonnement comme un « artificier » : « Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction. Je ne suis pas pour la destruction, mais je suis pour qu’on puisse passer, pour qu’on puisse avancer, pour qu’on puisse faire tomber les murs ».
Nous sommes donc en présence d’une livraison de qualité de la belle Revue Critique, qui ouvre un segment de lumière sur cette masse encore ombreuse des textes inédits, de l’œuvre qui n’est pas encore publique, permettant aussi de saisir un ensemble de concepts foucaldiens qui améliorent la compréhension de l’auteur.
Didier Ayres
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