Meyer et la Catastrophe, Steven Boykey Sidley
Meyer et la Catastrophe, octobre 2015, trad. anglais (Af Sud) Valérie Bourgeois, 350 pages, 21 €
Ecrivain(s): Steven Boykey Sidley Edition: BelfondLa quatrième de couverture est engageante : « Révélation des lettres sud-africaines, grand provocateur devant l’éternel, dans la lignée d’un Philip Roth ou d’un Joseph Heller, Steven Boykey Sidley livre un roman explosif, oscillant entre humour dévastateur et réelle émotion, sens de l’absurde et réflexions métaphysiques ». Le moins que l’on puisse dire est que ce bref texte de présentation donne envie de lire le troisième roman de Boykey Sidley, le premier traduit en français, Meyer et la Catastrophe (Imperfect Solo en version originale, ce qui correspond un rien plus au sens global du roman – on y reviendra). On s’attelle donc à sa lecture, plein d’espoir – et patatras, la déception est au rendez-vous !
Le premier motif de déception peut sembler risible mais est bien réel : lorsqu’on annonce qu’un auteur est la « révélation des lettres sud-africaines », on s’attend à ce que le roman ainsi promu évoque l’Afrique du Sud d’une façon ou d’une autre, à la Philip Roth, puisque ce dernier est mentionné en guise de référence, ou, pourquoi pas, à la Tom Sharpe – d’autant qu’on annonce un auteur « grand provocateur devant l’éternel ». On se dit qu’on va déguster une satire de l’Afrique du Sud contemporaine, portée par un style enlevé ; un roman qui dirait tout de ce pays dans un grand éclat de rire salvateur. Las ! Rien de toute cela : Joshua Meyer, le personnage principal de ce roman, vit et travaille sur la Côte Ouest des Etats-Unis, et si satire il y a, elle est aussi involontaire que légère et a pour cible le mode de vie de Meyer – encore que…
Car le second motif de déception pourrait faire mettre en doute la critique de Meyer et ses habitudes : en effet, Meyer et la Catastrophe est un roman comme il s’en écrit de plus en plus, surtout en anglais et en français, un de ces pauvres romans à la première personne dans lesquels le narrateur prend tout le monde de haut (même et surtout s’il prétend se sentir inférieur), commente tout, a son mot à dire sur tout… Quelle paresse narrative ! Alors que la troisième personne oblige l’auteur à certaines contorsions, à mettre en œuvre tout l’art littéraire à sa disposition, la première personne telle qu’elle est envisagée dans ces pauvres romans n’est qu’une façon comme une autre de se faciliter le boulot : inutile de faire découvrir quoi que ce soit au lecteur, inutile de lui sous-entendre une donnée relative au personnage principal, celui-ci prend la parole et dit tout dans les parties narratives, strictement tout, sans aucun appel à l’intelligence du lecteur, et à la fin, c’est épuisant. Des grands romans à la première personne, de Voyage au Bout de la Nuit à Extension du Domaine de la Lutte en passant par L’Etranger, pour le seul domaine francophone, il y en a ; des pauvres choses gémissantes en « je », il y en a aussi, et à foison. D’autant que si le « je » a souvent été considéré comme un double narratif de l’auteur, mais cela était à mettre en doute, désormais, c’est évident : Meyer et Boykey Sidley ont tous deux de grandes compétences en informatique, jouent tous deux du saxophone en semi-dilettante (d’où de pénibles passages musicologiques hors sujet) et l’auteur a vécu longtemps à Los Angeles. N’en jetez plus, la coupe est pleine.
Mais pas encore, car voici le troisième motif de déception : si quelqu’un pouvait indiquer clairement où se trouvent les passages d’un « humour dévastateur », ce serait aimable. On pourrait même penser à les imprimer en gras dans l’édition de poche, que tout le monde s’y retrouve. Parce qu’en fait d’humour dévastateur, il y a de pénibles petites feintes, des remarques soi-disant sarcastiques ou ravageuses sur les femmes, la crise de la quarantaine, la fausse philosophie de comptoir, et une scène que d’aucuns trouveront magnifique (allez savoir pourquoi…) durant laquelle Meyer compisse le bureau de son patron et ce dernier tout en se filmant et en menaçant de publier la vidéo sur YouTube… De là à y voir une critique du capitalisme dans sa variante électronique, n’exagérons rien. Ceci ne serait rien si, à défaut d’humour, on ne trouvait un peu partout des exemples de la philosophie de comptoir évoquée ci-dessus. Un exemple, page 213, que tout le monde comprenne bien à quel point ce roman vogue dans les eaux frelatées de tous les Delerm et autres Jaenada : « Une vie se compose d’un amas de décisions. Des milliards de décisions, des plus triviales aux plus lourdes de conséquences. Notre réalité actuelle est une branche de l’extrémité d’un arbre décisionnel géant. Si l’on pouvait revenir en arrière et procéder à d’autres arbitrages, on finirait ailleurs. Bien sûr, il y a toujours ce grand débat de savoir si on choisit vraiment quoi que ce soit, mais supposons ici, pour une simple raison de bon sens, que notre libre arbitre se réduise à ça. D’après les statistiques (encore elles), nous prenons souvent les mauvaises décisions. Les bonnes nécessitent des informations parfaites, et, en tant qu’êtres humains empotés, impulsifs et imparfaits, nous jouisons rarement de ce luxe. J’en déduis que notre vie est conditionnée au final par une sorte de jeu de pile ou face statistique, nos chances d’atterrir sur les branches de l’arbre les plus chargées en fruits étant à peu près les mêmes que celles de finir sur les branches les plus pourries ». Des passages comme ça, Meyer et la catastrophe en regorge, et c’est pénible de réprimer des bâillements toutes les cinq à dix pages environ…
Quant aux personnages, ils seront le quatrième motif de déception : mis à part l’ami et psychologue d’origine iranienne Farzad, quasi tous se réduisent à une ombre portée sur la page, sans qu’on parvienne à éprouver quoi que ce soit pour eux, de l’ami vivant d’un fonds fiduciaire (c’est pratique – d’ailleurs, de manière générale, l’argent n’est pas un moteur dans ce roman soi-disant « explosif ») à la fille ayant des problèmes d’adolescente (atteinte au passage par un virus aussi foudroyant que non identifié, auquel elle survit heureusement), et aux ex-femmes, ou future ex-petite amie, qui ne sont que des pions dans l’échiquier du malheur de ce Caliméro de Meyer, champion de l’égo surdimensionné aux considérations philosophiques de bas étage.
Mais, et la catastrophe du titre, alors ? Elle est multiple : Meyer quitte son job, s’aperçoit que son fils se came, perd sa première ex-femme dans un accident de voiture, se souvient de sa soeur jumelle perdue à l’âge de onze ans, revoit une dernière fois son père avant que celui-ci meure, quitte sa maison au moment où celle-ci prend feu (lui faisant perdre toutes les traces de son passé) et, last but not least, assiste à la fermeture du bar où son groupe et lui se produisaient chaque samedi soir. A ceci près qu’on peine à y croire puisque Meyer n’en ressent quoi que ce soit que sur le mode théâtral et, après tout, qu’à cela ne tienne : à la fin, il garde le moral et conclut : « Mais qu’importe, je danse ». Qu’il continue à danser, le roman est refermé et ne sera plus jamais ouvert pour cause de quadruple (au moins) déception.
Didier Smal
- Vu : 3479