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Métaphysique de la poésie - Le Fils de la Montagne froide, de Han Shan, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres le 04.11.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Métaphysique de la poésie - Le Fils de la Montagne froide, de Han Shan, par Didier Ayres

 

à propos de Le Fils de la Montagne froide, de Han Shan, éd. Orphée-La Différence, septembre 2016, trad. Daniel Giraud, Calligraphie de Yu Wang, 128 pages, 8 €

 

Pourquoi lit-on de la poésie ? Sans doute pour y trouver les principes de nos existences prosaïques, et permettre de répondre aux questions essentielles, ainsi que de mesurer en quoi notre angoisse est productive. D’ailleurs cette croyance dans le pouvoir de la poésie répare le lecteur, et est une sorte de passion presque matérielle qui nous rend capables d’accepter le monde. Il en va exactement ainsi avec ce livre que publient les éditions Orphée-La Différence, poésie chinoise sans doute du VIIème siècle, ici présentée sous forme bilingue avec un travail calligraphique régulier, ordonné et rigoureux. On y trouve une expression de la beauté – justement une des raisons pratiques qui réparent notre condition d’homme. Et beau ici au sens strict de Kant, qui prône une beauté perçue universellement sans concept. Le beau permet d’augmenter notre puissance intérieure, et fait le fond métaphysique de cette poésie de la Montagne froide, laquelle revient aux plus simples questions, et pourtant énigmatiques et tant de fois évoquées, comme : où allons-nous, ou qui sommes-nous ?

Belle, ainsi que la peinture chinoise de montagnes que l’on peut rapprocher aisément de la poésie de Han Shan, dont les normes ont été fixées pour près d’un millénaire sans presque aucune évolution stylistique, juste argumentées de montagnes justement, de paysages naturels, et d’une figure humaine prise dans un décor écrasant, ici présence du poète lui-même, poète de la montagne froide. S’agit-il d’un poète taoïste ou bouddhique, les exégètes sont partagés.

Une citation cependant :

magnifiques, tant d’empilements de monts et de cours d’eau

brouillard, nuages pourpres renfermant des bleus subtils

les brumes caressent mon bonnet de gaze et l’imbibent

la rosée humidifie ma veste de pluie en jonc

les pieds marchent, faisant la route dans des chaussures carrées

ma main tient un vieux bâton en rotin

considérant encore, à l’extérieur, ce monde de poussière

domaine du rêve, que faire du retour ?

texte qui laisse le poète, et les gens de plume généralement, aux prises avec l’obsession de la marche, par exemple, comme le contempteur du Nord américain, en la personne de Thoreau, lui-même protégé du philosophe Emerson.

Une autre citation :

j’habite en montagne

nul ne me connaît

dans les nuages blancs

toujours seul en paix

Poésie et montagne, ici sont présentes au sens littéral, à savoir l’ivresse et l’euphorie des altitudes et des sentiments qu’accompagnent le manque d’oxygène. Une saoulerie de beautés et de significations métaphysiques. D’ailleurs, cette poésie reste orientale, se formant un tout perceptif de la chose à décrire, en la restituant en absentia, contrairement à l’art occidental qui travaille plutôt sur le motif. Et cette localisation de l’expression artistique à quoi nous convie le style de l’auteur chinois n’est pas sans rappeler le film coréen de Kim Ki-duk, Printemps, été, automne, hiver… et printemps. Car ce rapprochement permet d’entrevoir le pouvoir de la méditation de l’art oriental, la force émotionnelle de la nature, et bien sûr les liaisons entre l’escarpement des monts et la religion bouddhiste.

Et puisque l’on hésite encore à considérer Han Shan comme un poète taoïste ou bouddhiste – comme on hésite encore à reconnaître en propre un auteur, car Han Shan pourrait peut-être recouvrir non pas un poète, mais deux – et en guise de conclusion, une citation qui pourrait peut-être rapprocher ce recueil de poèmes de la Bible et particulièrement du livre de L’Ecclésiaste :

l’humain vit dans l’ignorante poussière du monde

juste comme une bestiole à l’intérieur d’un pot

toute la journée bougeant, tournant en rond

sans quitter l’intérieur du pot

elle ne peut atteindre les Immortels

passions et détresses sont innombrables

années et mois s’écoulent comme l’eau

en un instant on devient un vieillard

Il est donc vraiment nécessaire de lire Han Shan puisque l’appétit métaphysique de chacun trouve une admirable spiritualité disséminée ici ou là dans ce recueil.

Une dernière citation, car citer reste la plus belle manière de faire circuler les œuvres :

personnellement je prends plaisir dans la voie de tous les jours

parmi l’armoise dans la brume et les grottes rocheuses

sauvages impressions, quel espace élargi !

flâneries des nuages blancs, compagnons de toujours

il y a des routes qui ne relient pas au monde

sans intention, qui pourrait m’accrocher ?

sur un lit de pierres, seul, assis, la nuit

la pleine lune gravit la Montagne froide.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.