Mes Arabes, Un chant d’amour postcolonial, Olivier Rachet (par Philippe Thireau)
Ecrivain(s): Olivier Rachet Edition: Tinbad
Arabe, « celui qui vit sous la tente ». Dans cet espace clos, bercé par le vent, un monde est né.
Il n’est qu’un dieu, Allah. Ainsi le nomment les chrétiens d’Orient, les Palestiniens épousant le catholicisme. Ainsi l’appellent les musulmans. C’est en Palestine justement, à Bethléem, que l’auteur, en une église au soir de la Nativité, fut pris d’un sentiment de consternation et d’ivresse en entendant prononcer le nom d’Allah et d’un irrépressible désir conjoint de se livrer à tous les mâles assemblés, en martyr d’une cause vénale, « la malédiction d’aimer les hommes ».
Mes Arabes est un hymne à cette malédiction, à la fois abaissement et transcendance. On ne peut oublier Pasolini au passage. Il est présent, à peine évoqué, silhouette tragique, magique. La pertinence du rapprochement me semble avérée par cette phrase extraite d’une interview de PPP donnée à Furio Colombo, quelques heures avant sa mort à Fiumicino en 1975 : « J’ai la nostalgie des gens pauvres et vrais ». Le corps de Pasolini était le pays des gens pauvres et vrais ; ceux-là même qui pour seule arme disposaient d’une barre de fer pour l’abattre. Les intellectuels italiens l’ont-ils compris ? Rachet fait corps, lui, avec la communauté arabo-musulmane et la masse des refoulés d’hier et d’aujourd’hui.
Tel est l’objet de cet ouvrage Mes Arabes Un chant d’amour postcolonial, faire corps avec cette communauté. En être l’amante, car on ne peut aimer mieux qu’en laissant parler la femme qui est en tout homme. Et cela dépasse le fait assumé par l’auteur d’être homosexuel, c’est l’universel qui émerge.
L’umma ou oumma des musulmans, soit la mère, est fondatrice d’une nation fantasmée unique qui déborde les frontières physiques d’un État depuis l’hégire en 622, la communauté de ceux qui sont nés d’une même mère. Sans doute l’auteur récuse l’idée de nation pour définir l’identité arabo-musulmane. Le débat est toujours ouvert ; un historien libanais, Ǧūrǧ Qurm (Georges Corm), dans une interview recueillie par Saïd Branine le 12 novembre 2007 pour la revue Oumma, énonce cette récusation : « Cet attachement viscéral à la notion très imaginaire de Oumma et de civilisation ou de valeurs musulmanes ou arabo-musulmanes ne fait que traduire une réaction psychologique de compensation à l’état de déchéance dans lequel sont plusieurs sociétés qui ont pour religion principale l’Islam. […] L’Islam rétréci, formaliste et étriqué que beaucoup revendiquent aujourd’hui n’est évidemment pas celui de l’Islam qui a donné au monde une civilisation magnifique et plurielle ».
Radicalité poétique
Nous sommes au cœur (chœur) du cheminement d’Olivier Rachet. L’articulation de son ouvrage entre rappel et louange de la civilisation arabo-andalouse, d’une part, et dénonciation du génocide colonial accompagné aujourd’hui de la balkanisation du monde arabe, son bannissement dans les banlieues du monde culturellement chrétien, d’autre part, s’accompagne du cri de la génération perdue des jeunes maghrébins, armée du cimeterre symbolique.
Olivier Rachet est fin connaisseur de l’Histoire arabo-andalouse. Au détour il se plaît à nous rappeler le poète andalou amoureux des femmes, Ibn Zamrak ; le poète chantant l’amitié de son prochain, Ibn al-Labbâna ; le philosophe qui réintroduisit Aristote et Platon dans le panthéon philosophique occidental, Ibn Rochd de Cordoue (Averroès). Si ce dernier est un philosophe de la nature, il préfigure la grande figure de Spinoza, dont une ligne de l’ouvrage, sans le citer, rappelle la relation particulière au dieu nature.
La poésie courtoise est née à Cordoue, à Séville, « bien avant les sonnets de Du Bellay », rappelle Rachet. Pages passionnantes à lire sous des entrées dotées de définitions, de références linguistiques. Un dictionnaire pour donner à voir l’Islam aujourd’hui, le monde arabo-musulman atomisé, dévalorisé dans ses États et banlieues.
Entre pornographie revendiquée et réponse terrorisante à la société occidentale dénaturée et méprisante, la jeunesse arabo-musulmane récusée jure que seule la mort est source de vie, même si elle ne croit plus, cette jeunesse, aux vierges promises au Paradis.
Le constat pasolinien énonce que la culture de masse n’arrange rien, elle donne à rêver, elle renvoie au ghetto. Que faire alors lorsqu’on a eu le malheur de naître enfants de maghrébins en France ? On dégoupille. On rêve d’une secte des assassins revisitée, on rêve de baiser tous les culs blancs passant à proximité woulah (l’ouvrage est ponctué de nombreux passages en italique citant des locuteurs, des loulous banlieusards) ; un exemple : « Ils ont la loi et les centres les cartes les papiers ouais tout ce qui brûle en fait prend feu je vais te faire exploser la baraque […] allah j’arrive c’est moi le vainqueur […] vendredi 13 le sang leur gicle à la gueule qu’ils se trimballent en slip et en petite culotte […] je te les égorgerai tous… ». Seul le crime sauvera le monde woulah.
Terrible disputation. Que va-t-il nous arriver ? Dans une dernière entrée intitulée Paradis (Sollers jamais loin), Olivier Rachet donne l’étymologie du mot et conclut par « jardin ». « Faute de savoir manier le sabre et le poignard, je continuerai pour ma part à cultiver notre jardin ». Le jardin arabo-andalou, celui de la vie faite d’amour, de sexe, de joie, de radicalité poétique.
Philippe Thireau
Olivier Rachet est enseignant en lettres modernes et cinéma audio-visuel au Maroc, où il réside depuis une douzaine d’années. Mes Arabes Un chant d’amour postcolonial est son troisième livre, le deuxième publié chez Tinbad, éditeur chez lequel il a donné un essai sur Sollers. Il collabore régulièrement à Art Press.
Philippe Thireau, né à Paris 15ème, a vécu en Algérie. Écrivain, poète, auteur dramatique, revuiste. Il a publié plus de 13 ouvrages chez différents éditeurs français, suisse et belge.
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