Merlin, ou Le Manuscrit Sauvé Du feu, Françoise Lefèvre, Merlin Brenot (par Philippe Leuckx)
Merlin, ou Le Manuscrit Sauvé Du feu, Françoise Lefèvre, Merlin Brenot, Éditions Jacques Flament, août 2024, 176 pages, 18 €
Edition: Jacques Flament Editions
Un livre à deux voix. Celle du petit-fils, accompagnée de celle de sa grand-mère, Oma.
Mort à trente ans, après un parcours douloureux, marqué par le suicide de son père, Merlin a écrit sa vie en un récit qui nous est présenté par Françoise Lefèvre, qui l’a encouragé à écrire et qui l’a aidé aujourd’hui à éditer, au-delà de sa mort, ce récit de vie, poignant et vrai.
Merlin : 1993-2023. Bipolaire, être marqué par le destin, jusqu’à la perte de tout contrôle, hypersensible, meurtri par les traitements et les séjours psychiatriques, Merlin a écrit dans les années 2010-2012 l’essentiel des pages que nous découvrons dans le partage, et l’effroi.
Le jeune homme, sans ambages ni afféterie, se raconte dans le cristal brut de ses émotions.
Il se livre, sans apprêts d’aucune sorte. La langue dont il use est celle des aveux, des sensations, des affects, des émotions, des relations. La place de sa mère, de sa grand-mère, de ses amis Guillaume et Auberie, est essentielle aussi.
Souvent, dans la trame du texte, Merlin dit combien il est important de se délester grâce à l’écriture, de rompre ce fardeau trop pesant pour l’adolescent, le jeune homme qu’il est devenu.
Peu fait pour le régime scolaire et les études, Merlin trouve en lui des moyens de satisfaire sa soif de songes. Les sorties avec son père, les activités avec ses potes, ses séjours aux Louvières, tout concourt à lui façonner une âme, certes fragile, certes désorientée, mais profonde et sensible aux partages.
Les poèmes, les chansons qu’il laisse (du rap nerveux), les photographies de ses proches révèlent un talent brut et certain.
Dans le cœur du récit, l’importance des souvenirs nous enjoint à lire ce petit volume comme un « journal de souffrance », comme l’expression d’un deuil non réglé, encore enlacé à sa vie.
Perdre un proche, un père, c’est concevoir que la vie n’a plus beaucoup de sens ou de mystère : l’adolescent de quatorze ans a été durablement marqué, au plus vif, par ce drame, jusqu’à le forcer à vivre dans cette ombre maléfique.
Tout a été douleur, repli, insuffisance, comme une maladie qui « ronge », qui imprègne tout l’être.
La force de ces pages est universelle : combien d’enfants, de jeunes n’ont-ils pas vécu pareil enfer !
Merlin, au prénom de conte, a su toutefois conserver quelque part en lui le « nez du clown » de son père, et la magie des « cabanes » avec ses amis, en dépit de tout, de son être torturé, de ses souffrances.
A trente ans, il se jetait d’une fenêtre de sa chambre de bonne à Marseille, pour ne plus connaître l’effroi qui le paralysait.
Un livre funèbre, qui honore cependant les ressauts vitaux de toute existence.
Philippe Leuckx
Merlin Brenot, né en 1993, est mort en 2023.
Françoise Lefèvre, romancière française, née en 1942, a écrit des livres bouleversants : Le petit prince cannibale ; La grosse ; L’or des chambres ; etc. A obtenu de nombreux prix littéraires.
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