Mère, pute ou hadja ?, par Amin Zaoui
Elle naît comme toutes les autres filles aux quatre coins du monde. Belle. Ange. Pleine de rêves. Fascinée par les jouets. Comment l’ange-fille se métamorphose-t-elle en diable, dans le monde arabo-musulman ?
La fille musulmane naît encerclée par des centaines de vigiles. Toutes sortes de vigiles. Ils sont dans la langue. Dans la morale. Dans la rue. Dans le regard. Dans le hadith. Dans des fatwas perverses.
Elle est née condamnée. Elle est la faute-suprême. Elle est l’erreur-tentation. Elle est la trahison-possible. Elle est la fornication-attendue. Elle est le serpent dans la poche. Elle est la malédiction-retardée.
Dès que la fillette met le pied dans la rue, le regard entre les pieds, elle devient une bombe sexuelle qui menace la galaxie tribale. Dès qu’elle commence à se regarder dans la glace, elle devient la sœur du Satan, « chitane », qui dérange les ablutions des prieurs. Dès qu’elle s’assoit sur le banc d’école, elle est soupçonnée de semeuse de chaos ! Dès qu’elle fait son premier pas sur un talon, elle menace l’équilibre de la terre dans son parcours sur l’orbite habituelle, et donc, elle est exclue de l’espace des anges.
La tentation est un talon. Le séisme est un talon aiguille ! Dès qu’elle met son premier coup de rouge à lèvres, sur des petites lèvres frissonnantes, avec une petite moue, elle est chassée du domaine de l’être humain. Dès qu’elle a son sang, elle est envoyée en enfer des diables. Une bombe sexuante !
Dans le monde musulman, la féminité est le droit chemin vers l’enfer. D’ailleurs, l’enfer selon les musulmans est rempli de femmes. Dans l’enfer musulman, il y a plus de femmes que d’hommes ! Dès la naissance de la fille, la société musulmane attend, et vite, le jour J où on dépêche cette créature vers l’espace des mamans. Il faut que son corps satanique dégage l’odeur du lait maternel à la place du parfum du désir féminin. Il faut éteindre le corps féminin dans le linceul maternel ! Le lait maternel ne libère pas la femme musulmane, plutôt il lui change la prison. Il lui troque les vigiles qui l’entourent. Du père à l’époux. Du frère à l’enfant. De l’oncle au beau-frère. De la grand-mère à la belle-mère. Aux yeux de la société islamisée, la femme restera entre mère et pute jusqu’au jour où elle devient une Hadja pèlerine.
Le premier jour du sang, la menstruation, qui est le rdv avec la féminité, est un jour de peur et de malédiction. Un rdv avec le diable. Le serpent dort dans le nid familial ! Le serpent est dans la peau.
Dans la société musulmane, de la première goutte du sang de la nubilité jusqu’au jour de l’obtention triomphale du passeport pour el Hadj, le pèlerinage, la femme demeure « encloîtrée » dans la zone interdite. L’exception confirme la règle.
On ne voit en elle, d’elle, que le corps vidé de tout sens humain. Qu’une chose pour le sexe. Une chose sexuelle. Il faut la cacher. L’enterrer. Puis, la déterrer !
La femme musulmane vieillit mal. Une vieillesse sans féminité. Le religieux, la société islamisée fait d’elle une maman, une pute ou une haja pèlerine !
Dépasser la quarantaine, elle est vieille, elle est jugée haja pèlerine. Elle est obligée d’oublier sa vie individuelle. À tuer son corps vivant. À asphyxier son esprit. Omettre sa liberté.
Vous allez me dire : non, le monde musulman a changé.
Je vous dis : si, mais pas assez. Le mal est toujours là. Le machisme est l’idéologie qui règne dans la politique, dans l’économie, dans la rue ! Et les parlementaires arabo-musulmans, et à l’heure où leur pays est en guerre religieuse et ethnique, où leur pays est en mauvaise santé, leur population est en famine, eux, votent, avec une majorité écrasante, des lois pour légaliser le mariage des filles de neuf ans ! Je suis triste, en colère mais debout !
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté Alger)
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