Mère (6), par Didier Ayres
Moi, je ne voyage plus, et c’est la dernière fois que je viens ici. J’en ai assez.
Une identité à part entière.
Une transformation progressive des caractères naturels pour aller du côté de la mère, de la mère et ses crises d’hypocondrie. Ses plaintes.
Mon frère et ma sœur.
Enchantée.
Elle s’est prise dans des histoires de karma hindou inextricables. Et c’est à cette époque qu’elle a fréquenté assidûment les diseurs de bonne aventure, à tirer le Yi-King sans aucune cohérence. Ma mère ne voyait rien et préférait jouer au Triomino des heures entières dans la cuisine et se fermer doucement à toute idée de guérison. Elle est morte, voilà tout.
Mais, cette maladie, c’était quoi ?
Noirceur.
Noirceur.
Tu connais l’énigme ?
Être sur une rivière au cours aléatoire.
Un peu comme l’écrit Héraclite ?
Oui, des fragments de vie qui forment un ensemble, et de là, une reconstitution de la vie à part entière.
Ma mère et son état de sauvegarde.
Nous étions souffrants, et l’idée du bateau était intolérable. Alors, on a repris le train jusqu’à Milan. De là, on a rejoint toute la petite équipe, et on a revu ce beau film de Godard sur Capri. Nous étions souffrants.
Je suis une créature, disait-il. Je n’ai compris que très tard que s’il s’agissait de quelque chose de créé, c’est qu’il fallait admettre un créateur. Et mon coreligionnaire a très bien compris et a eu sa mention au baccalauréat de philosophie juste avec cette notion.
Didier Ayres
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