Mère (1), par Didier Ayres
Les personnages ont le visage éclairé par un projecteur qui laisse le restant de la scène dans l’ombre ; peu à peu durant le déroulement de la pièce, on voit le décor : une maison abandonnée où les meubles sont recouverts de draps, et où règnent l’immobilité et en quelque sorte, le silence.
Toutes les espèces de mort, et l’atmosphère de mort.
Le gloire posthume, tu y crois ?
Ma sœur a été moniale dans un monastère bouddhiste. Trois années, trois mois, trois jours et trois heures. Voire trois minutes.
Elle ? Elle a toujours été inspirée par la musique, du jazz que son ami du moment collectionnait chez Crocodisc.
Les joies soudaines de l’esprit. Tu entends ça ?
Elle était tonsurée ?
Je ne crois pas.
La nature. La montagne, les forêts.
Elle portait surtout un sarong orangé de la couleur des Tibétains.
C’est totalement incompréhensible.
Il a fallu l’incinérer et même pas de prières tibétaines.
Je n’ai rien mangé de plusieurs jours. Une espèce d’anorexie passagère mais très violente.
Ça revient la nuit.
Toutes les nuits où j’ai pu pleurer.
Ta mère ? Notre mère.
Avec ce chagrin.
La Bardot brune.
Tout ce que l’enfant connaît par infusion de son intériorité et qui lui fait un apprentissage, ce que l’on nomme la connaissance empirique.
De ma mère ? De notre mère.
Cette façon de rire, d’étouffer des cris au-dedans, cette fusion, cette névrose.
« Et ton projet poétique » disait-elle. Elle était supposée savoir, alors que, intérieurement, rien n’était décidé.
La Bardot brune. C’est cela. Tu as raison. La Bardot brune.
J’ai donc composé le numéro de téléphone de la clinique.
Il faisait un temps remarquable. C’était les premiers iris.
Toute la puissance faible d’une nonne qui obéit mais qui refuse plus qu’elle n’obéit. Qui refuse. Qui n’accepte pas.
Elle est là, dans ces petites flammes bleutées, ces feux follets parmi des gaz brillants.
Juste au milieu des années dix.
C’était l’année où l’on construisait la Philharmonie de Paris.
A suivre
Didier Ayres
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