Merci et Meilleurs voeux !
Des remerciements suffiront-ils jamais ? J’ai une dette très grande aujourd’hui. Envers ceux qui ont placé de l’espoir en moi, qui m’ont soutenu face à de détestables adversités, qui se sont rassemblés dans des villes algériennes, qui ont écrit, plaidé, expliqué, défendu, protesté et réclamé la justice. Non pas que ma personne soit importante ou que je sois symbole ou leader ou figure, mais parce qu’il ne s’agissait pas de moi. Mais de nous tous, des autres, de nos enfants à venir.
Quel pays voulons-nous ? Voulons-nous un pays ?
Quand un homme appelle à la mort d’un Algérien sous prétexte d’un dogme mal compris, d’une religion prise en otage ou de Dieu, et que cela soit suivi de silence, soit qualifié de « simple préjudice », ou banalisé comme un fait divers, c’est qu’il y a un choix dangereux. On choisit alors, sans le vouloir ou parce qu’on ne l’a pas défendu, un pays, une démocratie, une république ; ou bien un califat, un émirat.
La question n’est pas alors si on est pour ou contre Kamel Daoud, mais si on veut un pays ou une ruine. Une réconciliation bâtie sur la justice et non pas sur la compromission. Car ce qui est aussi en jeu, c’est le solde de tout compte interdit des années 90, la primauté de la justice sur la réconciliation et la nécessité de redéfinir la Réconciliation comme un pas en avant vers la paix et non comme une transaction.
Je l’ai compris à la lente réaction de l’Etat, malgré l’immense bonne volonté de certains responsables que je ne peux citer mais dont je témoigne de l’engagement et de la solidarité discrète.
Merci donc à ceux qui ont compris, ceux qui ont défendu le principe de liberté et de création en Algérie, honneur de notre pays, fortune de nos ancêtres, rêve de nos martyrs aux plus sombres heures du sacrifice.
J’ai compris donc qu’il s’agit de deux projets : le désir de vivre ou le désir de mourir. Dans les rangs de ceux qui m’ont envoyé des messages de soutien, il y avait des islamistes, des salafistes même, des laïcs, des démocrates, des progressistes, des arabophones et des francophones et des gens humbles croisés dans les marchés et les rues. Mus par le désir de vivre mais aussi respectueux de cette valeur suprême dans notre histoire : la liberté.
Cette affaire a basculé, très vite, dans l’hystérie : moi l’enfant de village, humble et effacé, auteur d’un livre qui se vend dans le monde et qui défend l’image d’un pays malmené, a été chargé de trop de maux et d’espoir : on a dit de moi que j’étais harki, leader, sioniste, francophile, écrivain de commande, traître, exilé, vendu, que j’avais la double nationalité… je suis accusé de tous les maux et malaises de l’Algérie ! Depuis sa naissance !
Révélation sur le mal d’être Algérien, la douleur d’être Algérien, la passion d’être Algérien. La réalité est que les grandes questions qui font mal aux racines et aux récoltes n’ont pas été tranchées : l’arabité, le rapport à la France, la langue, la religion, l’identité.
J’ai osé, dans ma lente et cohérente construction, apporter mes réponses, à moi-même d’abord ; et mes réponses je les défends car elles sont le fruit de ma vie.
Oui je l’affirme : l’arabité m’appartient, je ne lui appartiens pas. C’est un héritage, pas une camisole.
L’Islam est un choix, pas une contrainte.
L’algérien est mon identité, ma nationalité, ma naissance et le lieu de ma mort.
La France est un pays que j’admire mais qui ne colonise pas mon esprit : je rêve du monde, pas de la France.
Dieu est ma quête et ma question. Il y faut une vie comme réponse, pas une fatwa.
Celui qui ne meurt pas à ma place n’a pas le droit de vivre à ma place.
Ce qui me lie à Dieu ne concerne personne.
Le pays est mien, je le partage mais je ne le cède pas.
J’aime mes racines mais je leur préfère les récoltes.
Je suis libre. Mes ancêtres se sont battus pour ma liberté et donc je ne la cède pas à la première menace.
Ceux qui m’ont envoyé ce message ténébreux pour me faire peur et me pousser à l’exil doivent comprendre : je ne suis pas un homme courageux, mais je suis un homme tenace et patient. Comme mes ancêtres. On peut me tuer, mais j’aurais été libre avant de mourir. Insolemment.
Mon Père est mort fier de moi. Mes enfants et mes petits-enfants le seront aussi. Je le promets.
Et surtout, je veux le dire et l’écrire : vivre est une fête qui ne me sera pas gâchée.
L’espoir est permis chez nous.
Les vœux sont la seule prière commune à tous les peuples. Meilleurs vœux alors pour l’année nouvelle.
Oran, le 31 décembre 2014.
Kamel Daoud
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