Mémorial du génocide des Arméniens, Raymond H. Kévorkian, Yves Ternon
Mémorial du génocide des Arméniens, novembre 2014, 496 pages, 30 €
Ecrivain(s): Raymond H. Kévorkian et Yves Ternon Edition: Seuil
L’année 2015 marque le centenaire du début du génocide des Arméniens, perpétré par le gouvernement turc de l’époque, Talaat Pacha, ancien ministre de l’intérieur, étant alors le maître d’œuvre des opérations. Ce fut tout d’abord l’arrestation, à Istanbul, le 24 avril 1915, de 600 intellectuels arméniens qui furent conduits à l’écart de la ville et qu’on ne revit jamais. Ce fut ensuite l’organisation méthodique de la déportation de toutes les populations arméniennes du pays, tant en convois ferroviaires, dans des wagons à bestiaux (déjà !) qu’en colonnes de déportés à pied. Dans tous les cas, la destination, pour ceux, peu nombreux, qui en réchappaient, en raison des attaques dont ils étaient victimes par les bandes kurdes sous l’œil bienveillant des soldats turcs, ou par les populations turques à qui on autorisait tout, moyennant parfois quelque argent, était le désert du nord de la Syrie, Der El Zor. Les survivants y étaient exécutés massivement, et ce lieu est devenu pour chaque Arménien de la diaspora ou d’Arménie un lieu sacré où la mémoire se fixe.
Ce sont près de un million cinq cent mille Arméniens qui furent victimes de ces massacres, qu’on nommera plus tard génocide puisque le terme ne sera créé qu’en 1944 par un certain Raphael Lemkin, professeur de droit américain. Les Arméniens étaient environ deux millions trois cent mille vivant en Turquie. Le terme génocide prend tout son sens avec ces proportions, et ce ne sont plus que quelques centaines de milliers d’Arméniens qui résident aujourd’hui sur le territoire turc.
C’est un corpus de témoignages émanant d’alliés de l’Empire ottoman ou d’états neutres qui dès 1915 permirent d’établir la volonté d’extermination du peuple arménien. Et ce sont ces preuves compilées dans ce livre qui constituent un siècle après ce Mémorial.
R.H. Kévorkian et Y. Ternon ont ici fait un travail remarquable, celui « de constituer un mémorial, c’est-à-dire un objet de mémoire qui, sans chercher à prouver ce qui l’est déjà, permet d’expliquer le pourquoi et de décrire le comment de ce génocide ».
La première partie de ce mémorial concerne la genèse du génocide, avec des textes écrits avant 1921, des textes authentifiés, que les auteurs ont compilés chronologiquement et commentés. Ainsi comprend-on mieux les raisons du génocide quand les auteurs nous rappellent les massacres antérieurs à 1915 ; ce sont les massacres en 1909 de Cilicie où le quartier arménien d’Adana fut incendié. Les textes nous rappellent les tensions vives entre les « races », tensions entretenues par un pouvoir accroché au panturquisme que le 20ème siècle va rudoyer.
De nombreux témoignages sont également issus des partis politiques arméniens qui n’ont cessé d’alerter les Arméniens des dangers encourus en raison des déclarations contradictoires ou alarmantes du pouvoir turc. Les partis politiques arméniens Hntchk ou Dachnag émirent de nombreuses mises en garde contre le pouvoir Jeune Turc qui mit en place le plan d’extermination des Arméniens.
Ce livre est une somme considérable de documents qui, tous, attestent de la réalité du génocide. Les cartes et les tableaux chiffrés aident à la compréhension du génocide et les photographies soulignent également la cruauté que de telles conditions ne peuvent que déchaîner.
« Ceux qui oublient l’histoire sont condamnés à la revivre » disait Hessel, ce livre important est une pièce essentielle pour ne pas oublier.
Guy Donikian
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