Melancholia, Philippe Thireau (par Didier Ayres)
Melancholia, Philippe Thireau, Tinbad, janvier 2020, préface Gilbert Bourson, 48 pages, 11,50 €
Texte organique
Pour aller vers ce texte de Philippe Thireau – lecture qui requiert une certaine discipline et un effort conceptuel – il faut accepter l’ellipse et le mystère. Car cette jeune fille et ce soldat qui occupent la diégèse, se disent par la voix d’un auteur, d’un poète, d’un récit qui gagne en épaisseur dans la présence nette de celui qui fait la narration. Ces deux personnages prodiguent à la fois du vif et du mortel. Un texte, donc, en forme d’intellection stylistique disant un corps organique. La vie par la mort, la vie par l’existence littéraire. De là, les intrigues, l’énigme non résolue, l’aphérèse.
Est-ce le poème de Victor Hugo où ce livre prend source ? dans la gravure de Dürer ? dans le Tres de mayo de Goya ? dans la Scène des massacres de Scio de Delacroix ? dans un Paul Delvaux et ses images de gares et d’érotisme ? Chacun tranchera par lui-même. Mais ces références indiquent quand même la violence, et les corps. Une sorte de corps produit par l’eau-forte de l’écrivain, qui regarde peut-être vers un texte organique.
Tout commence par la mort. Et ici, dans cette histoire qui met en scène un soldat, on croit deviner quelque chose qui reste en ébullition, une sorte de Kairos, de sublime, peut-être celui que Kant interroge et distingue dans la guerre, là où les hommes sont comme au-delà de la beauté, dans un monde sanglant et apologétique.
La guerre (ce moment d’acmé ?) se trouve en filigrane, ainsi que la nature, l’amour, le sexe, la mort. Car ce texte de P. Thireau entretient un tumulte, laissant voir peut-être le travail du manuscrit, ses signes, sa vitalité, son aspect. Je dis cela car il m’a semblé que l’écriture ici cherchait l’enfoui, les arrière-mondes, la saturation des énigmes, un sentiment primaire et capiteux du fond des choses, un monde archaïque, une poursuite de la régression et un chemin vers quelque chose d’essentiel. Je dis cela sans songer à la psychanalyse, mais en gardant cette énergie de l’ouvrage comme une source profonde, non pas vraiment de la libido, mais un moment tactile de l’écriture.
mon corps entier semble « replié » à l’intérieur sous l’effet de la froidure quelle étrange et béate impression cela me fait repliée visiteuse de l’intérieur dans la chaleur moite de l’intérieur les entrailles
[…]
l’orage gonfle les torrents les sexes se perdent dans leur fourrure les ruisseaux noirs divaguent plus grosse est la pluie plus forts encor les cris s’élèvent mi-terreur mi-plaisir glou glou et les hommes et les femmes
[…]
lorsque tu me questionnais. avec douceur sur l’herbe du corps. mon amour pour toi comment. avec mon angoisse qui. qui me faisait trembler. angoisse mon corps angoissé. me repliais dans. mes yeux se posaient ailleurs. l’amour de moi ailleurs te portait (il).
Didier Ayres
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