Méditer sans maître, Peter Hart (par Didier Ayres)
Méditer sans maître, Peter Hart, éditions Milagro, février 2023, 132 pages, 10 €
Texte hanté/texte enté
Voilà bien la démonstration en acte de ce que la poésie réserve à celui qui y prête attention. On y voit ici, certes, le contenant, la langue, l’expression ou le style, mais aussi, par transparence, comme en coalescence, le poète lui-même, son humanité, sa personne. Et cette expérience de lecteur revient à cohabiter évidemment avec le langage, mais aussi avec le monde – car le poème a ce double statut : être et paraître. Ainsi, cette fusion de la parole poétique avec la présence propre du poète, nous laisse apercevoir une personne hantée, comme souvent on est habité par le souvenir dans le jeu de la mémoire – organe plastique.
Chaque pas de ma déstructuration
Débouche sur la voie et la vérité
Je ne saurais pas te l’expliquer
Je te jure la fin du monde
Depuis, la lumière éternelle me suit
Comme font les fantômes sous les draps
Il faut voir dans ces textes une espèce de greffe de la réalité avec l’expression du poème. Un texte enté. Tout cela pour dire que le réel n’est pas absent, même si la méditation est abstraite et interroge plus qu’elle ne répond. Donc pas de pur récit, peu de réserve diégétique, mais des mots assemblés pour décrire l’étonnement de la vie, et encore une calme confiance dans la langue écrite.
Nous sommes l’apocalypse
Nous n’avons le choix que de nous aimer
Nous éclatons en larmes sans raison
ou
Il y a à chaque instant
Et entre chaque instant
Une ombre
Et son étincelle
Travail en spirale parfois, traits aigus, en termes d’art de la gravure, considéré comme une intellection des textes, confinant çà et là à la théologie, théologie négative par exemple ; vision convexe, en anamorphose, travail de la mémoire, poussant peut-être le poète vers les Derviches Tourneurs, tant les cercles sont concentriques, répétitifs et grandement ouvragés. Donc : le temps, la nuit, le rien, la mort, pour thèmes. Poèmes orphiques, sans doute. Mais aussi quête de la profondeur, car le poème creuse à la fois comme matière et comme idée ou image. Le réel est donc bonifié, augmenté, en mouvement, diffractant la lumière pour conduire vers un percement de la poésie. Cela cherchant la beauté (rien sans la prosodie).
Perdu dans les traces du marécage
Qui s’étendent jusqu’à la lumière
Et au voile granuleux
De l’univers
Les mythes prennent des somnifères
Didier Ayres
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