Marguerite de La Jarousse, Limousin, Danielle Boulaire (par Michel Host)
Marguerite de La Jarousse, Limousin, Danielle Boulaire, Éditions Lacour, 2020, 229 pages, 20 €
Michel Host nous offre ici sa dernière chronique, hélas inachevée, l'immonde virus l'ayant enlevé à notre admiration et à notre amitié. Son intelligence de lecteur, son talent d'écrivain nous manqueront toujours cruellement. A toi, Michel ! *
Une vie
Marguerite a vu le jour en décembre 1906, à La Jarousse, hameau du Limousin, au milieu des bois, entre Saint-Yrieix-la-Perche (et ses carrières de kaolin) et Jumilhac. Elle grandit en presque sauvageonne, entre frère aîné et sœur cadette, la fratrie courant les bois et les champs, souvent seuls dans la campagne, évitant, par l’instinct, par l’expérience quotidienne, les plus graves accidents. On garde les vaches, on craint le loups. On apprend aussi les arbres, les plantes, les herbes et les animaux. Marguerite n’apprendra ni à lire ni à écrire. Il n’y a pas d’école dans les environs. Mais elle saura parler, et comment !
Un jour, bien plus tard, alors qu’elle vit à Paris, elle entre chez Danielle Boulaire, qui tient un magasin de brocante, et lui propose divers objets. Elles lient conversation avant de se lier d’amitié. Marguerite lui ouvre le récit de sa vie. Danielle lui dit : « Votre vie, c’est un vrai roman ! ». L’idée du roman les enthousiasme toutes les deux. Au fil des rencontres, la romancière note les confidences de Marguerite de La Jarousse. Plus tard encore, Marguerite achètera un magnétophone dont elle confiera les bandes à Danielle. Le « récit » s’étoffera de cette façon, dans un simple esprit de témoignage. Le « roman », extraordinaire dans son terrible ordinaire, est né de cette rencontre. Marguerite se raconte, raconte sa vie au plus près de son quotidien, avec ses mots, Danielle les transcrit, sobres, rugueux, parfois dans le patois de l’enfance limousine.
Le père est cantonnier, habile braconnier. D’un tempérament fantaisiste, il joue de l’accordéon aux fêtes, aux noces. Il rend service et tombe un jour d’un toit. Infirme désormais, il est deux ans à charge et finira par mourir sans qu’un voisin l’emmène à l’hôpital : l’entraide, dans les campagnes de ce temps-là, n’est pas la règle, mais l’exception. Marguerite dit seulement : « Et moi je leur en veux ».
La mère est aimante sans être tendre ni caressante… Cette tendresse très mesurée restera une blessure ouverte dans l’âme de Marguerite. Elle s’en plaindra jusqu’à un âge avancé, sans pourtant adresser le moindre reproche à cette mère qu’elle a vue s’épuiser dans les travaux ménagers, le jardinage, les soins aux bêtes et ses allers et retours quotidiens entre la petite maison (deux pièces, un grenier, deux étables, une grange) et les carrières de kaolin de Saint-Yrieix où elle est contrainte de travailler. Les enfants sont heureux dans cette existence libre mais rude à un point que l’on n’imagine pas de nos jours. Les animaux, beaucoup moins, des oisillons dénichés dans les arbres et que l’on mange, au cochon que l’on tue à l’automne : « … ces choses-là, on ne devrait pas les faire devant les enfants… C’était pire qu’un assassinat ». Au passage, Marguerite se remémore les cent anecdotes qui marquèrent sa première enfance, tout un univers peuplé de chats et d’oiseaux, fait de bizarres superstitions qui lui donnent des mystères renouvelés par des rites familiers.
Parler de « première » enfance, c’est en supposer une seconde. Celle où l’enfant, d’une façon ou d’une autre, entre dans la vie adulte et la connaissance de l’humain. Être « placés », recevoir salaire d’un maître, d’un patron, c’est l’ambition des enfants des campagnes déshéritées, élevés sans être passés par l’École. Marguerite est placée dans une ferme, entre la femme, « la vieille sorcière », et le vieux mari. Elle a 8 ans et demi ; elle raconte : « Mais un jour qu’il était tout seul, le monsieur, que sa femme n’était pas là, il m’a dit : “Viens, je vais te montrer quelque chose”. Quand on a été dans le bois, il s’est jeté sur moi, il m’a déchiré le corps, il m’a déchiré le cœur, déchiré l’âme ». « C’était une brute, un barbare ». Elle avait raison, le « monsieur » en question se révèlera aussi d’une cruauté sans limite avec les animaux. Et plus tard : « Un jour j’ai voulu me pendre ». Plus jamais elle ne pourra rencontrer un homme sans réticence, sans être d’abord dans la méfiance. Elle en rencontrera d’autres de toutes espèces, des courtois et respectueux, des dégoûtants et répugnants. Ce sera aussi la seule fois où elle appellera la peine de mort sur la tête de ce genre d’homme.
Marguerite connaîtra mieux, des hommes qu’elle pourra aimer, ou croire aimer pour certains. Elle ne pourra juger le genre masculin que… Entre les deux guerres mondiales, elle aura de beaux et bons moments, de simples moments.
Le travail… Le minuscule appt.
La joie d’être : des oiseaux : une implicite
La Marne
Le ne jamais pleurer sur soi : résilience sans le mot / force vitale / foi
Ce qui empêche le pathétique et soulève d’autant l’émotion, l’amitié, l’admiration.
« Dits » de Marguerite
(florilège)
« … il faudra que je revienne sur terre, parce que j’ai tellement de choses à dire encore ».
« Les hommes, c’était, comment dire, c’était des bêtes, des sauvages ».
« J’en ai vu des belles choses ».
« Mais on a eu beau me bouffer, me piétiner, ils n’ont pas réussi à me faire crever ».
« D’un coup, j’ai compris que je n’avais été qu’une bonniche, je vous jure. Je ne sais pas si vous le comprenez, on aurait plaisir à les étrangler, à les étouffer ».
« … les pauvres sont tellement, tellement plus riches que les riches. […] Ils (les riches) ne voient que leur vanité, leur orgueil, leur bêtise ».
« Je reconnais que je suis bête. Mais franchement, il y a des plus bêtes que moi, qui ont fait des grandes études ».
« Il y avait des fois que j’avais la conscience en hésitation ».
« C’est pas en s’habillant bien que l’on est propre. On se salit dans la poussière de la vanité, dans l’orgueil, vous le verrez par vous-même quand vous serez plus vieille ».
« On sait bien que ce serait mieux que la mort vienne. Mais vous savez, quand on est au bord du vide, au bord du trou, malgré soi on recule un peu ! ».
« Pour moi, l’amour, c’est recevoir du plaisir, des caresses et tout, et surtout donner du plaisir, donner, donner, avec l’âme encore plus qu’avec le corps ».
« Moi je trouve que c’est merveilleux, que c’est comme une source qui chante autour de vous. Je ne trouve pas que ce soit possible de vivre sans Dieu ».
* Michel Host
Danielle Boulaire vit à Paris. Elle beaucoup voyagé dans toute l’Europe et au Moyen-Orient (notamment en Ouzbékistan), enseignant la langue française aux étrangers désireux de l’apprendre. Elle a prêté une attention constante à la vie des gens, en France comme ailleurs, aux problèmes toujours évolutifs de la vie des femmes. Elle est elle-même une auteure et une femme pleinement de son temps. Parmi ses derniers ouvrages : Au point d’épine (Éd. Rhubarbe), Une année dans les nuages (Éd. Librécrit), La maison du bon sourire (Éd. Librécrit), Ponts d’ici et d’ailleurs (Éd. Librécrit), Impressions d’Ouzbékistan (Éd. L’Harmattan), Une année avec le Rouge (Éd. du Petit Pavé), Sur le vif, petits inattendus de la vie courante (Éd. du Petit Pavé).
Les Éditions Lacour-Ollé (30000 Nîmes) publient depuis 1791. À leur catalogue figurent 9300 titres. Aucun des livres invendus ne va au pilon. On y lit les auteurs contemporains : www.editions-lacour.com (pour consulter le catalogue).
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