Marches III, Bernard Fournier, par Murielle Compère-Demarcy
Marches III, Bernard Fournier, éd. Aspect, 2017, 113 pages, 14 €
Après Marches en 2005 et Marches II en 2009, le poète Bernard Fournier signe ce troisième volet composé de IV parties dont les titres résonnent déjà comme peuvent résonner des marches entreprises au sein du monde naturel ou au cœur d’un univers à la fois étrange et familier, mi-onirique mi-fantastique, tel qu’on en trouve l’atmosphère dans la poésie de Jean Joubert, ou Michel Cosem (pour ne citer qu’eux).
La première partie semble, ainsi que l’annonce son titre, attester d’une quête de « Réponses » correspondant à une écoute de la part du poète. Écoute du monde naturel qui l’environne, dépositaire de voix enfouies auxquelles l’on ne prête pas toujours attention et que l’on évoque parfois sans les connaître, dans notre « monde interprété » pour reprendre l’expression de Rilke dans les Élégies deDuino. Ces Réponsesse lèvent à l’unisson des voix de l’aube, que le regard et le langage cherchent, depuis les premières lignes des aurores, dans la brume et les « brouillards (préalables) de mai ».Et ce rendez-vous, poétique en ses postes d’affût, constitue une « entreprise » (« La premièreentreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom »), à l’instar de celle du poète Rimbaud dans ses Illuminations, dévoué à la rencontre de l’Aube. Le poète Bernard Fournier écrit ainsi :
« Le voici de nouveau à la reconnaissance des fleurs ;
De hausser la vie au-dessus de la terre,
Au-dessus des corps,
De nouveau relever les âmes,
Quand il n’y a rien que des mots
Qui s’acharnent aux réponses du matin ».
Ici la vie s’ébruite, s’effeuille à peine (« Les forêts sortent à peine du chaos,encorenouées au sol par des filets/ tentaculaires »), (re-)posée dans la conque des heures estivales (« Muets, on se marie aux heures ») ou réfugiée « dans l’obscurerésidence de l’âme », et la lumière remue dans les secousses d’un murmure le monde alentour (« La lumière s’astreint à ne pas réveiller les arbres, les âmes ni les ombres»). Les « réponses du matin »s’écrivent en cherchant le clair des énigmes diurnes (« Quelles promessesdiurnes pourra-t-on tirer des brouillards ? »), entre les lignes d’envergure et d’encre Marines où « les jours ne se souviennent plus de l’arrimage de leur veille/ Et vaguent dans l’espace des limbes »). Les rêves relaient les tangages et houles du jour plein pour former une crique où « drossent les jours à venir contre les ressacs de la nuit »).
Dans Peuplement, la mémoire – du vécu et des lieux – répond « à chaque feuille tombée » dans la tentative d’élever un nouveau printemps de la pesanteur d’une « désolante réalité », de désaliéner un « peuple assiégé » dans ses filets.
« Peuplement des arbres qui bruissent comme l’eau sur les galets ;
Peuplement des pivoines qui se nourrissent de leurs propres pétales
Le bouleau, la pivoine donnent autant de feuilles que de jours,
Que d’heures dans l’année ».
Chaque entité de l’univers vibre dans la respiration des êtres et l’Homme poursuit sa quête, un parmi les autres :
« Il faut à l’homme compter chaque pensée,
Soupeser chaque mot,
Nourrir tout son sang ».
La quête du sens, existentielle, prend forme et vent en poupe de son immersion et mouvance dans la grande résonance du Tout où des correspondances se tissent, voire des « voix » multiples s’entendent et se répondent, au sein d’une même lumière (« vache », « pivoine »,« rosetrémière »,« bouleau»,« moineau »).
L’Homme qui marche arraisonne son embarcation pour ne pas chavirer, destination poursuivre, et même si la poésie, cette nourriture des mots, pourrait rendre son « bateau ivre », il convient peut-être à l’égal de Tristan d’accomplir un destin plus qu’un voyage, « garder un cap » : « Apprenons la patience des orages lelongdes routes et des rivages », écrit le poète. À moins de se replonger dans le parfum des rivières, « Être poète d’Oc et d’Olt/Pour un jour accorder le chœur brisé des églises », rejoindre le Premier hommequi « savait la terre, les arbres etlesfleurs »dans le royaume domestique des humbles marqués du sceau du labeur et du terroir authentique. La poésie est là, nourricière et vive, dans les yeux des pierres, dans leurs sommeils provisoires aussi où leurs songes planent sur le cimetière, auprès du chemin des hommes, proche (« C’est au bout du chemin : /On ne va pas plus loin/ Pour rester près deshommes »). Marches III de Bernard Fournier est poésie « vive rivière, vive source », comme une terre où l’on revient pour fouler et traverser les herbes du temps, trouver consistance de vivre auprès des arbres et de leur peuplement, elle « fixe lalumière et maintien(t) le temps ». Durablement. « On se couvre de son silence.// L’éternité passe en une heure »…
Murielle Compère-Demarcy
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