Manifestation : le Maghreb des livres
Entretien avec Georges Morin
La 18ème édition du Maghreb des livres aura lieu à l’Hôtel de Ville de Paris, les samedi 11 et dimanche 12 février 2012.
Conformément au système rotatif instauré par l’association Coup de soleil entre les trois pays du Maghreb, après la Tunisie en 2011 et l’Algérie en 2013, le Maghreb des livres met à l’honneur en 2012 le Maroc et ses écrivains.
Georges Morin, président de l’association Coup de soleil, nous éclaire sur cette manifestation culturelle considérée comme la plus grande librairie de France sur les pays du Maghreb.
Dans quel contexte est née l’association Coup de soleil ? Quelle est sa vocation première ?
C’est en octobre 1985, à Paris, lors d’une soirée chez une amie, qu’est née l’idée de créer l’association Coup de soleil. Nous étions un groupe d’amis, Algériens, Marocains, Tunisiens, Arabo-berbères, Juifs, Pieds Noirs.
Nous exprimions nos inquiétudes quant à la montée du Front national. Les Maghrébins étaient des cibles « privilégiées ». Cette situation nous était insupportable car, étant originaires du Maghreb, nous savions que le racisme, composante du système colonial, était à l’origine des souffrances et de l’exil de beaucoup d’entre nous. Il était donc urgent de nous rassembler, avec nos spécificités, pour lutter contre ce phénomène, qui n’est pas une fatalité. Cet objectif de nature militante est l’une des vocations principales de Coup de soleil.
Quels outils privilégiez-vous dans votre lutte ?
L’information et la culture sont nos deux outils majeurs. En partant de l’idée que le racisme repose d’abord sur l’ignorance, il est nécessaire de vulgariser les éléments qui contribuent à dissiper la peur de l’autre, en informant sur les rapports historiques entre la France et les pays du Maghreb, et les multiples échanges qui ont existé et qui existent entre les deux rives.
Rappeler d’abord la « dette du sang » avec ces soldats maghrébins qui ont combattu pour la France pendant la première et la seconde guerre mondiale. Rappeler aussi la « dette de la sueur » car pour reconstruire la France après 1945, le pays a fait massivement appel à la main d’œuvre des pays du Maghreb. Et souligner la « dette des talents », en mettant en lumière le nombre et la qualité croissante de tous ces Français d’origine maghrébine qui sont aujourd’hui, non seulement ouvriers, employés ou commerçants, mais aussi médecins, pharmaciens, avocats, enseignants, journalistes, ingénieurs, chefs d’entreprise, présidents d’université ! Et puis, il nous faut tous ensemble regarder le passé colonial et les luttes de libération. Tout mettre sur la table. Parler ouvertement de nos douleurs, de nos blessures tout en respectant la parole des uns et des autres. Et procéder à une analyse scientifique des événements du passé. C’est à partir de cet éclairage sur notre histoire commune que nous pouvons le plus efficacement nous tourner vers l’avenir. Car la question principale est de savoir comment promouvoir ensemble la paix, le partage, la solidarité…
Par le biais de la culture, nous visons la mise en valeur des acteurs culturels des deux rives ayant un lien de vie ou d’amitié avec le Maghreb : les écrivains, les artistes, les comédiens, les musiciens.
Qu’est-ce qui a favorisé l’orientation vers la culture plutôt que l’action politique ?
Coup de soleil n’est pas une association à vocation politique. Ses membres partagent essentiellement des valeurs d’ouverture, de solidarité et de fraternité. L’introduction dans nos rangs de débats politiciens, qu’ils touchent aux Etats du Maghreb ou à la France, serait un facteur de division alors que notre vocation est de rassembler. Pour autant, lorsque nos valeurs nous semblent remises en cause, en France, au Maghreb, en Méditerranée, nous n’hésitons pas à le dire à travers des communiqués, des articles, des publications ou des conférences.
Quelles sont les circonstances dans lesquelles est né le Maghreb des livres ?
Le Maghreb des livres est né en 1994 grâce à Rachid Mimouni qui était membre de Coup de soleil. Il nous avait suggéré d’organiser un événement annuel pour mettre en valeur la production éditoriale et les écritures plurielles du Maghreb.
Nous avons sollicité l’aide du Centre national du livre (C.N.L.). Le premier Maghreb des livres a eu lieu à l’automne 1994 dans ses locaux. Rachid Mimouni était l’invité d’honneur. Et ce jour-là, nous avons eu une chance inouïe : nous l’avons vu arriver avec Mohamed Choukri, le grand écrivain marocain.
Cette manifestation est un lieu de rencontre, d’échanges et de partage. Comment évaluez-vous cette fonction essentiellement symbolique dont le but est de créer du lien entre les auteurs et le public d’origines diverses ?
Le Maghreb des livres a été comparé à une oasis car c’est un événement chaleureux qui rassemble des écrivains, des artistes, des journalistes, des intellectuels. Des amis y viennent chaque année, du Maghreb, de l’Europe du Nord et du Sud, du Canada. Des familles entières s’approprient cet espace. On y vient aussi pour faire provision de livres. C’est la plus grande librairie de France sur les pays du Maghreb.
Le Maghreb des livres a également une fonction pédagogique. Des lycéens ont été initiés à cette manifestation. Quel est le but de cette implication ?
Cet intérêt pour les jeunes s’inscrit pleinement dans le cadre des objectifs de Coup de soleil : favoriser l’intégration par l’information et la culture.
Nos villes et nos quartiers recèlent beaucoup de talents qu’il faut découvrir et encourager. Les professeurs jouent un rôle important dans l’initiation de leurs élèves à la littérature du Maghreb. Ils choisissent un auteur et les font travailler sur l’un de ses romans pendant l’automne. En échange, nous recevons ces élèves au Maghreb des livres dans le cadre d’une rencontre-débat avec l’auteur du livre. Cette année par exemple, des élèves d’un lycée d’Ile-de-France seront reçus le samedi matin pour dialoguer avec Boualem Sansal autour de son roman Le village de l’Allemand.
Sur quels critères s’opère le choix des auteurs présents au Maghreb des livres ?
En avril de chaque année, nous écrivons aux éditeurs et aux auteurs déjà venus. Nous « épluchons » les revues et les journaux consacrés à l’édition et à littérature. Nous bénéficions également du réseau des éditeurs du Maghreb, qui nous proposent des titres. Au début, ils étaient réticents en raison des problèmes liés au transport des livres. Nous avons résolu ce problème de douane grâce à l’aide des ambassades de France : deux d’entre elles sur trois (Alger et Tunis) aident au transport des livres gratuitement. Les livres invendus sont ensuite proposés à la vente à la librairie de l’Institut du Monde Arabe.
Pour le choix des auteurs invités à dédicacer leurs livres, nous avons dû, depuis trois ans, procéder à une sélection sévère en raison de la forte demande. De plus, les normes de sécurité sont très strictes et limitent les possibilités d’aménagement de l’espace. Ces deux contraintes nous ont amenés à passer de 250 à 150 auteurs par an. D’autant plus que voulons aussi favoriser les jeunes talents.
Quels seront les thèmes abordés durant cette 18ème édition ?
Les thèmes sont au nombre de quatre. La présence des écrivains du Maroc, ou ayant écrit sur ce pays, sera forte puisque ce sont les lettres marocaines qui sont à l’honneur cette année. Il y a ensuite trois thèmes qui apparaissent fortement dans la production : le 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie ; les révolutions arabes ; et les « interrogations » quelque peu nauséabondes qui ont envahi l’espace politique français, ces derniers mois, en mélangeant allègrement « identité nationale », « laïcité » et « islam ».
Le programme des tables rondes traite de quatre champs : l’actualité, l’Histoire, l’intégration et la littérature. Quels seront les thèmes abordés durant ces séances ?
Les sujets abordés dans le champ « Littérature » porteront sur la production littéraire marocaine, en l’occurrence le problème du « Rapport des écrivains à la langue ». La table ronde consacrée à l’« Histoire » traitera du thème de « La solidarité des Marocains et des Tunisiens à l’égard de la révolution algérienne ». Ce thème est en lien bien sûr avec le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie et il exprime notre volonté de militer pour l’unité du Maghreb. Le champ « Intégration » abordera le sujet de l’Europe qui a de plus en plus tendance à fermer ses frontières et à s’ériger en forteresse pendant que beaucoup d’experts internationaux s’accordent à dire que l’Europe vieillit et qu’elle a besoin de main d’œuvre étrangère. La table ronde consacrée à « l’actualité », enfin, traitera du « Rôle des sociétés civiles dans la construction de l’unité du Maghreb ».
La rubrique « rencontre » met à l’honneur des figures militantes algériennes, françaises et marocaines. Quel est l’objectif de ces hommages rendus à ces personnalités ?
Notre objectif est de rendre hommage à des personnes qui ont marqué l’histoire du Maghreb. Cette année, ce sont des personnalités liées au Maroc et à l’Algérie.
Nous rendrons hommage à Abdelkrim El-Khattabi qui a résisté à la fois aux Français et aux Espagnols. Nous évoquerons aussi la mémoire de Simonne Lacouture, la femme de Jean Lacouture, décédée l’été dernier qui avait des liens très forts avec le Maroc.
Un hommage sera rendu à Mouloud Feraoun, Max Marchand et quatre autres enseignants algériens et français qui sont morts assassinés par l’OAS le 15 mars 1962 à Alger. A cette époque, j’étais tout jeune instituteur en Algérie et je me souviens avoir lu dans ma classe le message de Lucien Paye, ministre de l’Education nationale du général de Gaulle, par lequel il saluait la mémoire de ces hommes. L’hommage à Frantz Fanon est incontournable en sa qualité de personnage majeur de la révolution algérienne. Nous honorerons également François Maspero et Jérôme Lindon (décédé en 2001). Ces deux éditeurs français ont combattu intellectuellement aux côtés des Algériens. Il est important que ces derniers sachent que des Français ont milité en faveur de l’indépendance de leur pays.
Quel bilan faites-vous du Maghreb des livres depuis sa création ?
Cette manifestation qui fêtera son 18ème anniversaire dans quelques semaines nous remplit de fierté. Si elle connaît ce succès, c’est parce qu’elle répond à un vrai besoin pour les Maghrébins de se voir reconnus ici, dans leur diversité et leurs talents, et pour les Français de mieux connaître un Maghreb qui est leur voisin de palier, et dont les enfants sont aussi l’une des composantes de la société française qui n’a jamais été aussi solide et attractive que quand elle a su se montrer ouverte au monde et fraternelle.
Entretien mené par Nadia Agsous
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