Malraux & Picasso, une relation manquée, Raphaël Aubert
Malraux & Picasso, une relation manquée, Infolio, Collection Archigraphy Poche, 2013, 9 €
Ecrivain(s): Raphaël Aubert
L’histoire des arts fourmille de « relations manquées », à l’instar de celle, plus générale, de tous les hommes qui se cherchent et ne se trouvent finalement pas quand tant d’étincelles auraient pu crépiter entre eux. Et l’on se demandera encore longtemps ce que certains auraient pu se dire s’ils avaient seulement pu ou su se parler. Celle que Raphaël Aubert radiographie n’est pas, parmi de nombreuses autres au XXe siècle, la moins intéressante en termes de ratage. Car il faut attendre la mort de Picasso pour que Malraux en vienne enfin à mesurer l’ampleur d’un peintre qu’il a à peine côtoyé et longtemps ignoré. Dès l’introduction de son livre, Raphaël Aubert énonce clairement ce qui fait obstacle entre eux deux : d’une part, sur le plan esthétique, le relatif « conservatisme » de Malraux qui délaisse des pans entiers de la modernité picturale et plastique au nom du seul Georges Braque ; d’autre part, sur le plan politique, une fois l’ennemi commun du nazisme abattu, l’aveuglement communiste de Picasso, qui achoppe sur l’orientation gaullienne de Malraux, farouchement opposé à Staline.
Or, une fois posés ces deux écueils, il semble que le livre de Raphaël Aubert peine à l’inverse à légitimer ce qui aurait pu les rapprocher de leur vivant, même si en effet « de la part de l’écrivain du XXe siècle qui s’est le plus intéressé à l’art et de l’artiste qui révolutionna la peinture moderne, on aurait pu s’attendre à de tout autres liens ». Le livre reprend alors l’histoire sommaire de cette confrontation qui n’eut pas réellement lieu, malgré les affinités communes (Braque, Max Jacob, Kahnweiler…) et une première rencontre éblouie devant le tableau Guernica encore en chantier, vers mai-juin 1937. Il suggère que cette admiration tient notamment chez Malraux au fait « qu’il aurait voulu être peintre mais qu’il n’en avait pas le talent ». Et devant le talent évident de Picasso, bien au-delà des dogmes esthétiques édictés par le réalisme socialiste qu’il embarrasse parfois (voir l’anecdote édifiante du portrait de Staline à la mort de celui-ci, en 1953, taxé d’art décadent par le portraitiste officiel du régime), l’écrivain ne peut que s’incliner, même si l’homme et ses amitiés douteuses le gênent aussi un peu. Bientôt ministre, Malraux soutiendra d’ailleurs, et ce malgré la faiblesse des budgets, ses créations.
Mais c’est véritablement après la mort de Picasso que Malraux, par un ouvrage de tout premier plan, La tête d’obsidienne, donnera donc l’immense mesure du peintre. Raphaël Aubert en propose pour finir une petite lecture, et rappelle combien le livre entremêle les deux voix, les démarches artistiques, les interrogations respectives des deux hommes jusqu’à faire d’ailleurs de Picasso un véritable « héros malraucien ». C’est peut-être là ce qui les rapproche véritablement en définitive, cette même distance visionnaire qui les distingue pareillement dans leur siècle. De cela peut-être, on aurait souhaité comprendre encore davantage l’exacte démesure.
Frédéric Aribit
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