Malraux face aux jeunes, Mai 68, avant, après. Entretiens inédits
Malraux face aux jeunes, Mai 68, avant, après. Entretiens inédits, novembre 2016, 102 pages, 2 €
Ecrivain(s): André Malraux Edition: Folio (Gallimard)
Quoique historiquement codés dans une période précise, ces entretiens inédits la dépassent largement. Plus que de parler uniquement aux jeunes et plus que de s’installer dans son statut de ministre, Malraux prolonge son soliloque avec lui-même sans chercher de pose et de rôle de magister dans ce contexte particulier.
De fait sa réflexion reste toujours la même : accorder le sens qu’il convient à l’histoire, à la révolution, au jeu de pouvoir qu’entretiennent les maîtres du monde avec leur propre idéologie et leur peuple et bien sûr à la religion et son – dit Malraux – « inépuisable » question.
Au passage l’auteur lance quelques discrètes flèches à un intellectualisme germanopratin qui préfère Le Flore à l’action en oubliant que « le catéchisme est cinq cent fois plus sérieux que les professeurs » lorsqu’on parle de révélation. Et ce même si l’auteur relit les Evangiles « avec une certaine déception ».
Mais cela reste des épiphénomènes par rapport à son retour incessant sur une conception du monde qu’il ne cesse de chercher : « Beaucoup croient encore qu’ils la trouveront. Il y a ceux qui croient qu’ils ne la trouveront pas » dit Malraux. Tout compte fait, il pourrait se situer entre les deux. Avec bien sûr pour lui un bonus envers ceux qui se battent.
Tout dans ses textes reste actuel : « Faire l’Europe est prodigieusement difficile et ce que nous avons découvert ces vingt dernières années c’est cette difficulté ». Près de cinquante ans plus tard le mal court. Reste néanmoins un espoir imprévu. Faire entrer l’Angleterre dans l’Europe était pour l’Europe « se mettre à terre ». Le Brexit serait donc une solution pour croire à nouveau à l’Europe. Et Malraux d’ajouter à la jeunesse de Mai 68 : « Si vous contribuez à la faire, n’hésitez pas, c’est la seule chose véritablement importante qui puisse être faite de notre temps ». Dont acte.
Bruts de décoffrage mais tout autant théologiques, ces entretiens sont dominés par le charme et la puissance de l’oralité. Elle prouve que « le mot est le cadavre de la parole » – selon la formule de Jacques Derrida. Examinant une nouvelle fois le théâtre de la Cruauté du monde, Malraux sait que si le dernier mot ne sera jamais dit, il ne convient pas renvoyer l’être à son impuissance. Tout se joue encore entre le feu et le désert.
Jean-Paul Gavard-Perret
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