Maison des autres, Silvio D’Arzo (par Léon-Marc Levy)
Maison des autres (Casa d’altri), trad. italien Bernard Simeone, 80 p. 6,20 €
Ecrivain(s): Silvio d'Arzo Edition: Verdier
Peu de gens ont entendu parler de Silvio D’Arzo et de ce livre minuscule – tout juste une longue nouvelle – qui constitue pratiquement son œuvre. C’est un secret bien entretenu par quelques lettrés italiens et européens et cette nouvelle édition en langue française, par l’excellente maison Verdier, constitue un événement dont il faut que la France littéraire se saisisse !
C’est un texte prodigieux que nous avons sous les yeux. Certes traduit de l’italien, mais visiblement de manière tellement talentueuse que le choc littéraire ne souffre pas de la version française. Comment un talent pareil a-t-il pu être – et il l’est encore – ignoré ? Silvio d’Arzo est mort à 32 ans, laissant une œuvre réduite à de courts récits, des nouvelles, quelques études. Et, comme un diamant brut, « Casa d’altri », Maison des Autres, qui nous intéresse ici.
Un village, un hameau, des Apennins. Rude, comme ses habitants. Pauvre, comme ses habitants. Sombre, comme ses habitants. Le narrateur est le curé du village qui veille, comme il peut, sur les misérables âmes qui lui ont été confiées. Dans ce bout du monde, nul ne vient par hasard. Ce n’est pas un lieu, c’est un destin.
« Alors, comme ça, en train, on n’y arrive pas, là-haut…
– Non. Ni même en car.
– …
– Il faut trois heures à dos de mulet. Et pas l’hiver, bien sûr. Ni à la fonte des neiges. A cette époque-là, vous ne pourriez même pas en cinq.
– Euh… ça a pourtant bien un nom, je suppose.
– Oui, je crois que oui. C’est sans doute la seule chose que ça ait » (épigraphe).
L’écriture de D’Arzo donne à ce bout du monde un relief stupéfiant. Un monde de « correspondances » entre les sons, les couleurs, les senteurs nous saisit et ne nous lâche plus. Un univers de silence dans lequel même la nature, souvent, se tait.
« Maintenant sur la route d’en haut, sur les buissons et les talus alentour, les ravines et les pâturages, tout n’était que silence et les oiseaux, les grenouilles et toutes les autres créatures dormaient déjà ».
Et dans ce monde mutique, même les gens sont taiseux, ne disant que le nécessaire pour vivre, pour survivre. Si bien que les sons des bêtes semblent jaillir comme une source de vie :
« Maintenant, on entendait plus clairement les chiens et les clarines de bronze, mêlés par instants à un piétinement ».
Même les pierres sont tristes :
« … A cette heure-là les cailloux eux-mêmes étaient tristes, et l’herbe, désormais d’une couleur violette, plus triste encore ».
Ce petit roman, sans être le moins du monde un poème, en a cependant la précision, le ciselage, la musicalité. Chaque mot est une pierre sur un chemin de montagne, dans les murs des maisons, dans le cœur des montagnards. D’Arzo nous mène dans un récit qui peu à peu frôle le fantastique, le roman noir. Une vieille femme mystérieuse est apparue au lavoir du village. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Que veut-elle ? Dire quelque chose sûrement, au narrateur, aux gens du village. Quoi ? Notre curé « mène l’enquête » et la tension du récit ajoute encore à la noirceur du lieu.
Parfois, on se demande si elle est réelle, ou une simple vision du narrateur, un fantôme sorti des forêts pour hanter les villageois.
« Dans tout ce silence, ce froid, cet air livide et cette immobilité un peu tragique, la seule chose vivante c’était elle. Elle se penchait – avec peine, me semblait-il –, plongeait les guenilles dans l’eau, les tordait et les battait, et ainsi de suite. Sans lenteur ni hâte et sans jamais lever la tête ».
Une heure de lecture, pas plus, à déguster comme un privilège. Celui d’être devant une œuvre rarissime, autant par sa fréquence que par sa sublime qualité.
Léon-Marc Levy
NB : une très jolie nouvelle de 6 pages, Un moment comme ça, clôt le petit volume.
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