Maison de famille, Sophie Stern
Maison de famille, éd. Avant-Propos, coll. Matanel, juin 2015, 270 pages, 20,95 €
Ecrivain(s): Sophie Stern
Elsa Fischer, revenant d’un colloque au bout du monde, se retrouve comme malgré elle, et sans bien savoir comment, dans cette maison de famille devenue maison de vacances, puis à l’abandon, comme dans une parenthèse – un temps de pause –, pour y affronter la lettre de son compagnon, trouvée sur un meuble à son retour, et qu’elle croit être l’annonce de leur rupture : « Une enveloppe blanche l’attend, discrète, sur son bureau. …(?)… Elle semble glacée, pétrifiée par la découverte de cette simple enveloppe qu’elle ne ramasse pas tout de suite, n’ouvre pas encore. Son regard se perd dans une rêverie d’emblée mélancolique, comme si elle devinait son motif, et qu’elle venait de se heurter en un quart de seconde à une lourde grille de fer » (p.14).
Ce roman ? Un livre de souvenir, et d’oubli, d’effacement du temps et de réconciliation. Etre avec soi, et hors de soi, dans ce lieu propice au souvenir, précaire et à la fois solide, durable car délaissé, bientôt vendu, que fut la maison de famille devenue maison de vacances à l’occupation aléatoire, lieu repoussoir et magnétique, de cristallisation et de précipité des émotions :
« Comment leur dire que cette vieille maison abandonnée, où elle n’ose plus s’aventurer ces dernières années ni même convier ses amis les plus proches, l’été, cette maison qui lui faisait peur, enfant, et dont elle a parfois presque honte, est devenue, ce matin, le seul refuge possible, un étrange soutien quand tout valse » (p.62).
Maison en sursis, prêtée, échangée, maison dont tout le monde paraît avoir la clé, et qui paradoxalement referme, renferme des secrets. Maison décor, maison qui se prête à tous les rôles, à toutes les compositions, où les enfants jouent à avoir peur : son frère, adolescent, refusait d’y coucher. Elsa vient donc s’y réfugier, fuyant l’annonce d’une lettre qui se plaît à s’y égarer.
Cette maison où presque plus rien ne tient debout, où les pièces et les meubles semblent rapportés, volés à d’autres histoires, et disposés sans a priori. Jeu de piste géant au bout duquel Elsa se retrouve, s’y retrouve. Parenthèse ? No man’s land ? Lieu en tout cas qui captive, propice à une plongée dans le temps, le passé – réel ou imaginaire – de la narratrice ou de ses aïeux. Mais le temps, toujours,rattrape. Creuset fantastique, la maison s’exprime, elle permet à Elsa la décantation. Rapportée, confrontée au passé proche et plus lointain dont elle s’enrichit, la lettre non lue qu’elle est venue perdre là et qu’elle oubliera avec sa trousse de maquillage – autre symbole fort – en quittant la maison, n’a plus son pouvoir effrayant.
Dans cette demeure gigantesque, tout (re)prend des proportions raisonnables, à la fois on y perd et on y reprend pied. Les sentiments, les sensations d’Elsa se décomposent et se recomposent tour à tour comme dans un kaléidoscope. Et quand elle apprend, d’un cousin israélien délégué par son père qui l’a chargé, après des années d’atermoiements, presque en secret, de vider la maison de son mobilier afin de la vendre, Elsa va enfin comprendre que ce qu’elle est venue chercher là, c’est l’acquiescement du passé : elle ne laisse rien derrière elle, que le superflu, elle reprend le cours de sa vie : « Comme d’habitude, elle ne savait pas où s’asseoir, mais cette fois elle avait une excuse car les cartons avaient vraiment envahi tout l’espace. Alors elle s’est assise sur l’une des caisses au hasard, essayant d’imaginer quelques secondes ce qu’aurait été ce salon, cette maison, leur vie de famille …(?)…, mais c’était difficile à concevoir car c’était une autre histoire » (p.268).
Anne Morin
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