Maison d’âme, Mireille Gansel, par Didier Ayres
Maison d’âme, Mireille Gansel, La Coopérative, avril 2018, 112 pages, 15 €
À la croisée
De la Maison d’âme de Mireille Gansel, il faut retenir la maison et l’âme. Pour mieux ressentir cette territorialisation spirituelle et affective. On se trouve avec ce livre dans une demeure qui demeure dont la démarche intelligible motive la pensée et la poésie. Nous sommes loin d’une poésie sans action – action au sens que prête Paul à la charité – ne serait-ce que pour la perspective humaniste qui fait de la maison de la poétesse, une habitation physique pour des concepts errants alliés cependant à des migrants de toute origine et de tout temps. Je me permets de souligner cela en préambule, car il est utile de savoir où s’ancre cette pensée, et de voir avec tant de clarté et de signes la présence de l’auteure dans une matérialité de sa personne.
Je dis préambule en pesant mes mots, parce que je crois que cela fait partie bel et bien de la portée véridique et de la valeur de ce chemin à travers le langage. Chemins, terres, frontières, langues, et aussi rivières, villes et pays se croisent ici et font l’arrière-plan du livre. Et cela avec l’émotion noble et profonde des grands thèmes de l’écrivaine : l’amour, la beauté, l’hospitalité, la parole, les mots et toute la cohorte des belles idées qui agrandissent l’homme et lui font une invitation céleste, supérieure, pleine d’humanité.
Donc, c’est une poésie du croisement, à la croisée des langues. Mireille Gansel d’ailleurs se prête facilement au jeu de la traduction, et comme traductrice elle jouit du goût de la langue de Paul Celan, de celle de Imre Kertész, et encore de la poésie vietnamienne ou des poètes de la RDA.
la lumière des mots
comme une lettre à Jean Halpérin
au bout de vos exils il y eut votre pièce lumineuse vos livres et près de votre bureau la ferveur et la pénombre de ces visages sur une photo de Frédéric Brenner ces visages si intenses. D’avant. Avant la Shoah. Et votre table d’hospitalité pour les repas du shabbat et les veillées des grandes Fêtes –
votre maison de lumière je veux dire la lumière des mots –
cette lumière que vous m’avez appris à extraire des pierres de nuit dans le chant de Nelly Sachs –
Poème du croisement veut dire aussi poème du mouvement. Car habiter le monde en poète nécessite un arpentage, une mesure pareille à la déambulation verbale, pour aboutir par exemple au milieu des oiseaux de mer. Ce recueil suit un trajet assez précis depuis la production littéraire pure, alternée à deux ou trois reprises par de la prose assez détaillée et narrative pour nous guider vers le monde océanique et revenir brièvement à des préoccupations métaphysiques que l’auteure nous donne en partage. Je n’oublie pas la présence de Lyon qui donne lieu à mon sens à cette belle définition de la poésie que je cite ici :
jonchée de pétales
qui saura jamais le nom du canut qui tissa ce broché nuances de pétales fraîchement tombés de roses jaunes, parfois liserées de lilas ou de carmin ; de roses de couleur incarnadin, liserées de jaune et empourprées de cerise ; de couleur mauve, magenta foncé ou rouge sang avec des éclats jaunes –
Au cœur du livre et à chaque bord nous sommes convoqués à la rencontre et au confluent de la réalité détourée par la poésie avec la matérialité du corps de cette poésie. Et tout cela au sens d’une expression obstinée, lente parfois, profonde, d’un texte haut qui revient de manière un peu obsessionnelle « comme autant de petites maisons où apprendre à habiter le monde ». Et pour conclure sur le terme du croisement et du mouvement, je cite in extenso cette belle prose du début du livre qui décline avec intelligence cette question.
maison nomade
I
dans ton souvenir ce premier train pour Budapest longe un torrent couleur des glaciers je ne savais pas encore que c’était l’Inn descendue de l’Engadine et que bien des années plus tard je la retrouverais au confluent du Danube et de l’Ilz. À Passau. Où, un jour, le poète Reiner Kunze trouvera refuge à quelques kilomètres en aval. Et là au croisement des traces du passé où déjà s’inscrivent les traces à venir j’apprendrai à habiter le lent passage des mots et des poèmes –
maison nomade le long des eaux vives –
Didier Ayres
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