Mais délivrez-nous du mal, Maurice Gouiran
Mais délivrez-nous du mal, mai 2013, 248 pages, 18 €
Ecrivain(s): Maurice Gouiran Edition: Jigal
On se souvient du scandale de la Clinique du sport à Paris et du procès de 2010 qui, au terme d’une instruction de dix longues années, se termina par la condamnation du directeur et de l’un des chirurgiens à de la prison ferme. En cause, la mycobactérie xénopi, à l’origine d’infections nosocomiales ayant causé des dommages irréversibles à de nombreux patients. Maurice Gouiran, pour les besoins de son vingt-deuxième roman, transpose l’affaire dans le « milieu » des établissements médicaux marseillais. Nous sommes en mai 2012, et Jean-Lucien de Ponterne, directeur et propriétaire de la clinique Les Acacias, ainsi que deux de ses chirurgiens doivent répondre devant la justice de la contamination par la bactérie de trente-huit personnes, dont plusieurs sportifs de haut niveau. Oui, mais voilà… au moment où le procès s’ouvre, Jean-Lucien de Ponterne joue les abonnés absents. Difficile, en effet, de se présenter à une audience et de s’assoir sur le banc des accusés, lorsque l’on vient de prendre une balle dans la tête et de cramer dans « un champ envahi par les roquettes et les camomilles », à quelques encablures de l’Estaque.
La santé, dit-on, n’a pas de prix ou presque… et la clinique Les Acacias vaut, en dépit de sa mauvaise réputation, quarante millions d’euros, plus… quelques cadavres.
Maurice Gouiran bâtit avec une précision d’horloger un savoir-faire de parfait briscard du polar, une intrigue assez complexe où la cupidité, les ambitions politiques, l’appui de la pègre et la folie d’un tueur en série vont se mélanger, brouillant les pistes et les indices. Au cœur de cet imbroglio féroce, Clovis, un journaliste pigiste cinquantenaire et éleveur de chèvres à la Varune par attachement à une tradition familiale, papillonne d’Élodie, infirmière en chef dans la sulfureuse clinique, à Emma, lieutenant de police au look gothique ; un faux trio – les deux belles ignorant qu’elles partagent le même amant – que rien n’arrête lorsqu’il s’agit de découvrir la, voire les vérités, entre deux parties de jambes en l’air.
Dénonçant les collusions politico-financières, le grand écart idéologique de certains candidats à la députation, le blanchiment d’argent, l’appât du gain qui transforme les malades en simples et vulgaires clients, l’écrivain dresse le tableau d’une société au cynisme forcené où le crime s’inscrit dans une logique d’une confondante banalité. Il le fait avec beaucoup d’humour, de talent, il est vrai, mais aussi de tendresse pour une région, les Bouches-du-Rhône, qu’il aime passionnément.
Aussi, en dehors d’une intrigue qui suffirait à combler de bonheur les amateurs de polars, du plaisir que ses fidèles lecteurs prendront à retrouver ses personnages récurrents hauts en couleur, on peut se demander si le véritable héros de ce dernier roman n’est pas d’abord et avant tout la ville de Marseille. Des quartiers Nord aux barres HLM, de celui des Crottes, en passant par la Place Thiars, le Cours Pierre-Puget, le parc Talabot, le quartier de la Cabucelle, le quai Rive Neuve et le Vieux-Port, pour ne citer que quelques uns des multiples lieux où se déroule le récit, c’est dans une passionnante visite guidée des arrondissements de la cité phocéenne que l’auteur nous invite à plonger. D’où, cette suggestion : si vous vous aventurez dans Marseille en voiture, reléguez votre GPS et ses mornes directives débitées d’une voix de synthèse au rang des oubliettes, et demandez à votre passager de vous lire certains passages du roman. Non seulement vous ne vous perdrez pas en route, mais vous pourrez faire une pause à la terrasse de cafés plus pittoresques les uns que les autres pour siroter une mominette ou un Gambetta-limonade, avant de vous régaler de plats régionaux mijotés dans la pure tradition de la région. Une ville grouillante, aux sempiternels travaux et embouteillages, écartelée entre ses contradictions, entre sa pauvreté bruyante et sa bourgeoisie tantôt calfeutrée, tantôt trop clinquante.
L’expression « Mais délivrez-nous du mal » renvoie sous la plume de Maurice Gouiran le lecteur à une révolte citoyenne contre la convoitise, la cupidité, l’argent facile, « le pèze avant tout », mais aussi, plus trivialement, contre la douleur qui persécute les corps, la négligence fautive de médecins rapaces, l’indifférence ou l’abandon des proches au seuil de la mort.
Le style incisif, ironique, la capacité de passer, sans aucune fausse note, d’une description bucolique des alentours de la montagne Sainte-Victoire, d’une nature qui fleure le thym, l’iris sauvage, la corbeille d’argent, à celle des positions acrobatiques des ébats fusionnels d’un couple d’amants, ajoutent au plaisir gourmand que l’on prend à lire ce roman.
Mais délivrez-nous du mal, un livre à glisser sans la moindre hésitation dans sa valise, avant de s’abandonner aux joies des vacances estivales.
Catherine Dutigny/Elsa
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