Identification

Mado, Marc Villemain (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 13.02.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Joelle Losfeld, Roman

Mado, février 2019, 160 p. 15 €

Ecrivain(s): Marc Villemain Edition: Joelle Losfeld

Mado, Marc Villemain (par Léon-Marc Levy)

 

Marc Villemain, dans ce roman virtuose, réussit un double défi. Ecrire un beau roman d’amour – ce qui de nos jours relève de la rareté extrême – et parler non des filles de quinze ans mais comme une fille de quinze ans, avec une justesse, une délicatesse, une pertinence saisissantes. La jeune narratrice, auteure du journal intime qui constitue la matière de ce livre (et qui intervient aussi parfois, quinze ans plus tard devenue adulte) nous raconte une amour exceptionnelle – le féminin d’amour, normalement réservé au pluriel, s’impose ici au singulier.

On ne découvre le prénom de la narratrice, Virginie, qu’à la page 53. Rien d’étonnant à cela, la jeune Virginie, dès les premières pages, est éblouie, dominée, fascinée, reléguée au second plan par l’époustouflante Mado dont elle tombe éperdument amoureuse. Mado, pas une fille, un rêve : belle, sûre d’elle déjà malgré son jeune âge, sensuelle, intelligente, fascinante. Elle efface tous les personnages du roman par son rayonnement quasi divin.

Ce roman est l’histoire d’un vide, celui qui s’ouvre autour du personnage scintillant de Mado. Celui qui envahit et terrifie Virginie dans les périodes où Mado n’est pas proche d’elle – les vacances par exemple. Celui – littéraire – de la quasi inexistence des parents de l’une et de l’autre, figures à peine ébauchées, sans relief, sans épaisseur, sans intérêt. Pas plus que les cousins, ou Florian, le petit pêcheur rencontré sur la plage. Pas plus que les copains/copines d’école, à peine évoquées. Tous les êtres – autour de Mado et Virginie folles d’amour l’une pour l’autre – sont des creux, des fantômes, des absences. Les deux filles, bouillantes de vie, de sensualité et d’amour sont seules au monde.

Leur monde secret, leur nid d’amour, c’est une cabane au bout d’un ponton sur la plage. Le carrelet. Là, les deux amoureuses réalisent le bout de leur rêve : l’absolue solitude. Une sorte de fin du monde où il ne resterait qu’elles, leurs corps naissant au sexe, leurs cœurs brouillons battant la chamade l’une pour l’autre. L’une et l’autre. L’une dans l’autre. Marc Villemain écrit aussi l’histoire d’une fusion, d’un élan brûlant qui fait se traverser, se fondre les deux amoureuses. Et même dans cette fusion ardente, Mado reste la maîtresse, celle qui ordonne les passions, les caresses, les folies. Virginie s’oublie, s’efface en elle.

 

« Je voulais qu’elle dispose de moi, je serais docile en tout. Alors d’un geste elle a posé une main entre mes seins et m’a légèrement basculée vers l’arrière. Je me laissai glisser dans son plaisir mais je me laissai aussi chavirer dans tout ce que ce moment engageait, ma jeunesse, mon ingénuité, ma vie. Je lui faisais confiance, je ne désirais rien de plus au monde que ce point de non-retour ».

 

Et puis l’arc de la vie se déploie. L’arc de l’amour, le plus fou soit-il. « On donne à l’arc le nom de vie et son œuvre c’est la mort » disait Héraclite. Les passions humaines sont faites de beauté et de laideur. De soie et de cahots. De joie et d’infinie tristesse. Des tristesses telles que trente ans plus tard elles lacèrent encore l’esprit et le corps. Virginie, devenue femme et mère d’une petite Emilie, reste ravagée par ce qui a toujours été sa vie du temps de Mado : le vide autour d’elle quand Mado n’est plus là, quand le carrelet n’est plus qu’un souvenir, quand le cœur s’absente.

 

« Je suis née au grand air, pour l’amour et la solitude, et me voilà plein cœur de ville, ratatinée dans une cage à lapins. A ressasser ce que j’ai fait, ce que j’ai perdu, ce qui est mort, ce qui se meurt, cœur sec et seins vides. Trente ans et déjà je me languis, et déjà je m’assèche. Et chaque jour dans mon corps, dans mes larmes, dans les yeux implorants d’Emilie, la preuve en chair que je me crucifie plus vite encore que le monde. On devrait tous mourir à quinze ans ».

 

Villemain – pour notre bonheur littéraire – nous a habitués à faire ce qui ne se fait plus. Dans son recueil rivière il nous contait déjà des romances enfantines teintées de sourires et les larmes. Dans ce roman, vibrant, exalté et cruel, il nous offre un cadeau rare aujourd'hui en littérature : un âpre et déchirant roman d’amour.

Terminons sur ce legs sacré de la maman à sa fille : « Si un jour tu lis ce journal, Emilie, ma petite fille, sache et n’oublie jamais : je n’ai jamais eu dans ma vie qu’un amour, et ce fut elle ».

 

Léon-Marc Levy

 

VL3

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


  • Vu : 3488

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Marc Villemain

 

Marc Villemain, né le 1er octobre 1968 à Meaux (Seine-et-Marne), est un écrivain et éditeur français.

Il est également critique littéraire au Magazine des Livres, membre du Comité de rédaction de La Règle du Jeu, membre sociétaire de la Société des Gens de Lettres.

Après avoir lancé Les 7 Mains, il a lancé en janvier 2011, avec Éric Bonnargent, le blog littéraire L'Anagnoste.

 


A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

Lire tous les articles de Léon-Marc Levy


Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /