Madame Tabard n'est pas une femme, Elsa Flageul (par Yann Suty)
Ecrit par Yann Suty 03.04.11 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Julliard
Madame Tabard n’est pas une femme – 126 pages, 16 €
Ecrivain(s): Elsa Flageul Edition: JulliardElsa Flageul a le sens du titre. Son premier roman, paru il y a deux ans, s’intitulait " J’étais la fille de François Mitterrand ". Pour son deuxième opus, elle nous intrigue d’emblée avec cette drôle d’annonce énigmatique : " Madame Tabard n’est pas une femme ".
Si Madame Tabard n’est pas une femme, qu’est-elle donc ?
Il y a deux réponses possibles.
Hannah a six ans quand, un soir, on sonne à la porte de l’appartement dans lequel elle vit avec sa mère, Alma. Elle ouvre et apparaît un homme qu’elle ne connaît pas là, en lunettes de soleil. Il lui déclare qu’il vient voir sa mère. Elle lui demande qui elle doit annoncer et il lui réplique, dans un grand éclat de rire : « Fabienne Tabard ».
Hannah va chercher sa mère. Son visage s’éclaire et s’empourpre. Elle comprend tout de suite que la Madame Tabard en question est Antoine.
Madame Tabard est donc un homme.
Mais Madame Tabard, c’est aussi le personnage interprété par Delphine Seyrig dans Baisers volés de François Truffaut. Au cours du film, Jean-Pierre Léaud, alias Antoine Doinel, dit d’elle :
« Madame Tabard n’est pas une femme, c’est une apparition. »
On remarquera que pour son titre, Elsa Flageul ampute la deuxième partie de la phrase d’origine. Est-ce pour mieux tromper son monde ?
Cette référence, Antoine l’a sorti parce qu’Alma et lui se sont rencontrés dans une salle de cinéma. Ils étaient alors les deux seuls spectateurs de Baisers volés. Le réalisateur cimentera leur union.
« A part François Truffaut, nous n’avons rien en commun. »
Madame Tabard n’est pas une femme est un livre imprégné de cinéma. Comme le dit l’un des personnages : « Et je pense que les films parfois vous accompagnent et vous portent. Et vous consolent et vous conseillent. »
François Truffaut disait des grandes phrases comme : « Le cinéma est meilleur que la vie ». Elsa Flageul montre que les films qu’on aime résonnent dans notre vie, que l’on s’en inspire presque malgré soi, qu’il donne une certaine tonalité à tous nos faits et gestes, qu’on cherche presque malgré soi à se comporter comme certains de nos héros.
Le roman est construit en quatre parties. D’abord, il adopte le point de vue d’Hannah, puis celui d’Antoine, ensuite celui d’Alma, et enfin les trois en même temps.
A chaque fois, ils parlent depuis plusieurs époques. 1981, 1984, 1988, 1993, 2000, aujourd’hui au cinéma Le Royal Palace à Paris. Parfois, les mêmes scènes sont appréhendées selon le point de vue des uns et des autres ce qui permet de mieux les comprendre. Quand on a qu’un seul point de vue sur une situation, il y manque toujours quelque chose pour en saisir toute la portée, faisant ainsi écho au titre, citation tronquée.
Le ton est léger, mais légèreté ne veut pas dire simplicité. La légèreté se travaille, elle n’apparaît qu’avec des phrases parfaitement maîtrisées, un sens du tempo, du mot bien placé où il faut, une remarquable utilisation des virgules ou leur éradication en bonne et due forme.
La légèreté ne signifie pas non plus que l’on est obligé de parler de choses bêtes et naïves. Elsa Flageul en dit beaucoup sur les hommes et sur les femmes, sur leurs relations, sur le monde, sur nous. Madame Tabard n’est pas une femme est une vraie gourmandise.
Yann Suty
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A propos de l'écrivain
Elsa Flageul
Passionnée de littérature, c'est pourtant vers des études de cinéma et des cours de théâtre au conservatoire que se tourne dans un premier temps Elsa Flageul. Auteur d'un mémoire sur Jacques Demy, la jeune femme fait ses débuts comme écrivain avec le roman 'J' étais la fille de François Mitterrand', paru en 2009.
A propos du rédacteur
Yann Suty
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Membre fondateur
Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock