Lucien, Sabine du Faÿ (par François Baillon)
Lucien, Sabine du Faÿ, Oskar Éditeur, 2022, 168 pages, 14,95 €
Lucien ne voit plus sa mère, internée en hôpital psychiatrique, depuis six années, et ne connaît pas son père. À l’âge de treize ans, son destin se résume à un ballottement entre familles d’accueil. Arrêté par un commissaire de police pour un vol de portefeuille, il crée l’affolement de Mme Chouraki, qui en a désormais la responsabilité avec son mari ; sous l’obligation de celle-ci, et pour la première fois, il est conduit à consulter un pédopsychiatre, Marc Lamy.
Destiné aux adolescents avant tout, ce roman met en lumière les étapes successives du mal-être d’un enfant qui se sent abandonné : agissant de manière impulsive, voire destructrice, Lucien s’inscrit, sous la plume délicate de Sabine du Faÿ, dans la recherche constante d’un foyer qui semble inaccessible, d’une place dont l’adéquation paraît hors du monde – ses déplacements réguliers, fruits d’un instinct de survie, ces intérieurs qu’il croise et quitte en permanence, sont à l’image de cette quête qui l’essouffle.
Le sujet est délicat, cela va sans dire. Le roman s’accompagne d’une part documentaire en annexe, avec l’interview du Docteur Pierre Courbin, psychiatre et pédopsychiatre, qui s’est occupé de jeunes primo-délinquants pendant trente-cinq ans. Le témoignage du médecin apporte un éclairage non négligeable au choix qu’a fait Sabine du Faÿ avec ce sujet ; il semble même qu’il soit l’inspirateur du personnage de Marc Lamy.
Nous voudrions exprimer quelques réserves à ce roman qui rend hommage à un métier passionnant et difficile, et à ces âmes injustement blessées dès leur enfance. Le texte contient parfois un ton didactique, propre à donner une leçon de vie, qui ne nourrit pas nécessairement notre avancée avec Lucien, voire qui l’affaiblit. En ce sens, il arrive que Lucien apparaisse trop conscient de sa situation, comme si son point de vue se mêlait à celui de la romancière dont on sent, en de courts passages, la prise de recul global. Par ailleurs, le personnage de Mme Chouraki, dont on comprend aisément la détresse, comporte une dureté systématique et étonnante, qui la rapproche d’une caricature, ce qui est dommageable pour la densité de l’intrigue.
Mais l’une des réussites de ce roman, entre autres qualités, est la relation entre Marc Lamy et Lucien. L’impression de vérité qui émerge de cette rencontre est particulièrement émouvante. C’est notamment grâce à cette forme de tableaux parallèles, décrivant le quotidien de Lucien d’une part et celui du psychiatre d’autre part, que l’auteure installe un climat qui nous happe : une clé oubliée dans un appartement tandis que le petit matin gagne la capitale, une impatience dans un embouteillage, l’aspiration à la fantaisie face à un cerisier emmaillotté, l’attention portée aux couleurs d’un habillement ou à la volée d’escaliers d’un immeuble cossu. Le déroulement se fait sous nos yeux – comme les pas subtils d’un chat sur un toit –, au cours de scènes resserrées dans le temps, mais qui posent un fondement. Ainsi, le besoin de poésie de Lucien, que l’on perçoit à certains moments, semble rejoindre l’exubérance relative de Marc Lamy, perdu dans ses songeries au cours d’un dîner, qui se compare volontiers à Tartarin de Tarascon.
Quant à Lucien lui-même, la lumière contenue dans son prénom peine à fendre l’obscurité de son histoire. Cependant, l’empathie qu’il éprouve à l’égard d’un chiot abandonné nous rappelle combien son cœur simple et son besoin d’attachement l’animent – ce que met très joliment en valeur l’illustration de couverture signée Vincent Roché. Si le destin brisé de l’enfant (mais dont on sent la possibilité de réparation) rencontre souvent des embûches, il flotte autour de lui, outre Marc Lamy, quelques figures de fées bienfaitrices que sont Flora et Jérémy – moins blasé qu’il n’y paraît.
Grâce aux rebondissements qui succèdent à la fuite de Lucien, crédibles et rythmés, et grâce au regard de la romancière qui, en dépit des cicatrices, sait associer l’enfance blessée à la capacité d’émerveillement et d’espoir (il n’est sans doute pas un hasard que les derniers mots du roman soient « rose pâle enfantin »), le lecteur saura se glisser dans la peau de l’animal traqué et indomptable qu’est le protagoniste. Un roman, par conséquent, qui est une très belle porte d’accès aux destins d’enfants esseulés et en manque d’attache.
François Baillon
Après avoir obtenu deux licences (Allemand et Sciences du langage), Sabine du Faÿ a exercé plusieurs métiers qui l’ont finalement menée au Ministère de l’Intérieur. Depuis 2006, elle écrit des livres pour la jeunesse et a notamment publié chez Thierry Magnier, au Seuil Jeunesse, aux Éditions du Jasmin…
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