Lucarnes, Jacques Goorma (par Didier Ayres)
Lucarnes, Jacques Goorma, éditions Arfuyen, février 2024, 128 pages, 14 €
Tremblement
Le mot du titre, tremblement, fait appel à deux notions. La première, c’est celle d’Édouard Glissant, qui s’intéresse au tremblement du monde, bruit qui vient à la porte de chacun par les flux des informations en temps réel. On finit par trembler à l’instar de tout le monde au même moment et pour les mêmes raisons. Pour finir, personne n’échappe à la réalité de l’univers. Mais trembler est aussi une manière d’approcher la langue poétique, espèce de synecdoque où un simple mot revient à toucher du doigt une réalité plus ample. Ici, le tremblement, ce scintillement, cette résonance de la matière, soyeuse en un sens comme une étoffe, se nourrissent d’eux-mêmes afin de consigner ce que cherche pour finir tout écrivain : le secret de la vie. Donc, le culte du silence n’est pas sans effet sur cette appréhension par la langue d’une réalité des mots, dans une nudité telle qu’elle conduit aux bornes de l’aphonie.
Fragilité de la vie, altération inconsciente des attributs de la langue poétique, ne sont de fait que ce que poursuit l’auteur, ici le poète Jacques Goorma. Le vide de l’absence, le poète et personne, hier et demain, l’instant et l’éternité, l’instant intérieur et le réel, voilà pour les couples d’épithètes dont se nourrit la vitalité de l’écriture. Le poème fait monde, monde nu, dépouillé de ses ornements, de ses ors, pour revenir à une expression patiente et aigüe, en suspens, en surplomb.
le silence est
si plein de lui-même
qu’il laisse parfois
s’échapper quelques mots
Ou
il est des choses
qui grandissent en nous
comme en dormant
grandissent les enfants
*
le silence passe sa main
dans la forêt
à pas de loup
établit son royaume
En fait, cette poésie conduit vers le bord de soi en tremblant, bord du sens, bordure de la signification, vers le rivage du langage, vers la rive du poème, lequel s’ingénie à se contenir dans quatre vers très simples, parfois quelques mots partagés d’une phrase courte, peut-être ainsi qu’un haïku, en tout cas, une pensée contemplative. Écrire ici, c’est se rendre à l’immobilité conçue comme vérité. Se rendre à très peu de présence, comme si un mot de trop pouvait trahir une pensée ample. Comme si l’on pouvait soustraire de la nudité aperçue du monde, une espèce de substantifique moëlle. Bref, dessiner un chemin pour l’être, le chemin de l’être.
Revenons un instant sur le titre : Lucarnes. La définition du Larousse revient à une description fort simple, mais qui s’avère d’une grande utilité. La lucarne est cet ouvrage en saillie sur un toit. Donc deux éléments importants : la saillie et le toit. Appliqués à l’ouvrage, on comprend le point de vue du poète : en saillie sur une hauteur, une fenêtre pour seul éclairage intérieur, mais aussi pour voir des jardins, des forêts ou des rues, ou même d’autres toits, donc un endroit où témoigne le monde avoisinant. Cette fenêtre est un lieu de contemplation, un accès direct au secret de la vie, je l’ai déjà dit, mais aussi à ce qui échappe au monde visible et matérialiste : une métaphysique des objets décrits. Un motif suffisant pour autoriser la méditation et son rendu littéraire.
Cette extrême simplicité du vocabulaire, confine au murmure, à l’ahanement, à une écoute à voix basse. Cette tendance à la simplicité n’exclut pas une musique, et même plutôt incite à l’écoute intérieure. Rythme dansant, mosaïque d’assonances, tempéré ou rapide, mineur souvent, recensions des syllabes, lecture d’une musicalité qui fait partie d’office de la réalité de la musique qui surgit du monde.
l’œil saute
d’un mot
à l’autre
avant de chanter
Ou
qui
devrait savoir
qui
je suis ?
Didier Ayres
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