Loups solitaires, Serge Quadruppani
Loups solitaires, octobre 2017, 240 pages, 18 €
Ecrivain(s): Serge Quadruppani Edition: Métailié
Des régions désertiques du nord du Mali au Limousin, en passant par l’Italie, Serge Quadruppani nous invite dans un polar d’une brûlante actualité et sans doute pas si rocambolesque qu’il n’y paraît. L’auteur prend plaisir cependant à appuyer sur le grand guignolesque de la brutalité des comportements humains, qui font ressortir la sagesse de quelques personnages plus simples, plus droits, plus proches de la nature et des animaux : chat, poules, choucas, ânes, blaireaux, abeilles… qui eux aussi savent faire preuve d’une certaine noblesse.
Ce polar est à la fois cruel et drôle, cruel comme le sont les hommes et drôle comme ils peuvent l’être quand il n’y a plus de limite au ridicule de leur arrogance. Il y a une vraie morale qui sous-tend ce polar, entre farce et fable. L’humour avec lequel l’auteur s’empare du sujet ne rend pas moins efficace la critique sous-jacente et soulève des questionnements concernant les nouvelles technologies mises au service de soi-disant guerres menées contre le terrorisme et l’opacité des agissements de différents services à la solde de pouvoirs, mais aussi concernant notre rapport à la nature et notamment à la destruction méthodique d’animaux qualifiés de nuisibles. Et question méthode, des animaux à l’homme, le pas a déjà été franchi.
Pierre Dhiboun, capitaine surentraîné des forces spéciales françaises infiltré dans un groupe djihadiste au Nord du Mali, a soudain déserté sans qu’on sache de quel camp, pour disparaître de la circulation et réapparaître dans le Limousin, chez une éthologue anglaise, une séduisante et récente veuve, spécialiste des comportements et routines humaines, qui travaille pour une base militaire aux activités énigmatiques. Pierre Dhiboun est un personnage central, ambigu et intéressant autour duquel plusieurs filets se resserrent et derrière lesquels opèrent différents services plus ou moins officiels, avec toute la discrétion et la bassesse que les magouilles et conflits de pouvoir exigent.
Entre le plateau des Millevaches et le bord de Vienne, un territoire peuplé principalement de retraités et de quelques marginaux et fortes têtes, les chemins de deux loups solitaires vont se croiser. L’un des deux est un homme.
Serge Quadruppani, auteur de L’Anti-terrorisme en France ou la terreur intégrée (1989), connaît son sujet en profondeur, ce qui lui donne une base très solide sur laquelle il peut se permettre d’ironiser car il vise juste, et vu la lourdeur justement du sujet, pouvoir en rire un peu est salutaire. La course-poursuite finale est carrément hilarante, un vrai sas de décompression.
« Francis n’a aucune idée de ce dont parle ce type en short et chemise ouverte sur le poitrail qui descend de la cabine pour venir contempler, mains aux hanches, le véhicule qui s’enfonce toujours dans la tourbière. Cependant, en raison du trop grand nombre d’erreurs et de contentieux subséquents qui ont marqué ces dernières années son secteur d’activité, il a été entraîné à ne tirer sur les formes de vie incompréhensibles qu’en cas d’hostilité manifeste.
(…)
C’est ainsi qu’un commando de contractants surentraînés qui a participé à la reprise de Falloujah maison par maison, affronté les talibans dans la passe de Khyber durant une tempête de neige empêchant toute couverture aérienne et, à cent contre un, les hommes de l’État islamique sur le rivage des Syrtes, fut ce jour-là transporté dans la benne à Juju ».
Il y a un parti pris dans ce polar habile qui ne plaira pas à tout le monde, mais c’est ce qui lui donne sa force et son sens. S’il y a un enseignement à tirer des loups solitaires, c’est que ce qui importe pour la survie, plus encore que l’équipement, c’est une vraie connaissance du terrain.
Et pour connaître véritablement un terrain, il faut l’aimer et le respecter.
Cathy Garcia
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