Louis XI ou le joueur inquiet, Amable Sablon du Corail
Louis XI ou le joueur inquiet, 600 pages, 26 €
Ecrivain(s): Amable Sablon du Corail Edition: Belin
Parmi les biographies historiques récemment publiées, celle du roi de France et Valois Louis XI, densément retranscrite (600 pages) sous la plume du « chartiste » et « conservateur en chef du patrimoine aux Archives de France », Amable Sablon du Corail, restera probablement aux yeux des spécialistes un produit majeur versé au compte des études sur la structuration monarchique. On ne saurait effectivement trop entrevoir que ce travail ordonné et minutieux, remarquable d’abord pour le tableau coloré qu’il dresse d’un souverain charismatique mais également pour sa profonde immersion dans le siècle de clôture du moyen âge européen, imposera son brio et sa reconnaissance entre tous les documents de référence sur le sujet. Un essentiel souci de comparaison renverra bien entendu les amoureux du cas spécifique au dernier plus éminent traité parent, à savoir le très éminent travail de restitution réalisé il y a près de cinquante ans par l’historien américain Paul Murray Kendall – disparu pourtant deux seules années après la publication de son magistral Louis XI, révélé sous le trait original et saillant d’« universelle araigne ».
Le plus apporté ici réside alors dans un éclairage des équilibres géopolitiques récoltés de la psychologie tortueuse d’un accédant au trône, bientôt rompu à toutes les manières de duplicité, par l’esquive et par l’intrigue – essentiellement donc par la ruse –, outre cela très tôt nanti d’un pragmatisme redoutable et d’une obstination jamais dissuadée. Une réponse par des agissements particulièrement ajustés aux situations courantes et évolutives de la société agitée du XVe siècle de l’Europe occidentale traduit en effet à traits permanents l’orientation et la stature de cet assez singulier héritier de la couronne fleurdelisée, d’abord au titre de Dauphin et, par là, sous de prédictives allures de fils rebelle. Plus tard, grâce à sa maturité et à son expérience, également grâce à son impitoyable résolution souveraine, c’est bien alors sous le règne de ce monarque plutôt confiant qu’en lui-même que la page de la guerre franco-anglaise dite de « Cent ans » se verrait une bonne fois tournée, que la désastreuse guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs cèderait aussi le jour à une insigne et stable unité nationale. Sans doute alors, comme le démontre habilement l’auteur, l’unité territoriale gagnée serait-elle finalement la récolte d’un déroutant savoir-faire, générateur des articulations d’une institution politique solide et appelée à durer jusqu’à la Révolution française.
A un patrimoine génétique unique assez rapidement accointé aux artifices d’une éducation particulière se doit souvent la mouture originale des individus tels qu’ils se distinguent au premier stade de leur entrée dans la communauté agissante du genre humain. N’échappant nullement à cette façon d’héritage mais à travers les signes de ses plus précoces attitudes au sommet de l’Etat, le fils aîné du roi Charles VII laisse de bonheur entrevoir, d’une part la prompte émergence de sa personnalité profonde, assez sûrement récoltée d’une certaine carence affective si ce n’est même du dédain paternel tout entier. Certes, à distance, le père – qui s’était vu tardivement couronné à Reims grâce à la pucelle de Lorraine – réunirait pour son successeur programmé les moyens d’une éducation de ce temps idéale, notamment en lui imposant la férule de quelques meilleurs conseillers : sa sulfureuse marraine et gardienne juvénile « la redoutable Catherine de l’Isle-Bouchard », l’ami de Jean Gerson, « maître ès arts et licencié en droit » Jean Majoris (qui apprendra au jeune Louis le français et le latin), le chevalier breton Guillaume d’Avaugour à son tour chargé de l’éducation militaire du dauphin, également encore son très abhorré précepteur, le comte de la Marche Bernard d’Armagnac (« Louis prit rapidement en grippe ce tuteur particulièrement sévère et dévot, voire bigot », p.18), et pour n’en citer que certains de ce premier entourage. Cette préparation voulue délicate, mais nettement privée de l’intercession cordiale et chaleureuse du père, n’affecterait pourtant qu’en partie la perception subtile et indépendante de l’apprenti monarque, semble-t-il très tôt conscient et revendicateur de sa haute vocation personnelle. « Sans doute jugea-t-il les leçons de Jean Marjoris trop théoriques et de peu d’utilité pour l’exercice du pouvoir » affirme Amable du Sablon qui ajoute aussitôt « Louis XI veilla à donner à son fils Charles une éducation plus simple et beaucoup plus orientée vers la pratique » (p.16).
D’entourage affectif, le futur roi de France ne bénéficia en réalité que de celui de sa mère – hormis le cas futur de son épouse mais pratiquement confinée dans le rôle de parturiente –, Marie d’Anjou, à Amboise, lieu de leur résidence commune. « Louis eut pour cette mère douce, pieuse et effacée, de l’affection et peut-être même de la tendresse », nous dit encore l’auteur qui précise au passage qu’elle était « laide à faire peur aux Anglais ». Louis XI était en effet, et visiblement par cette filiation, gratifié d’un « difficile » héritage physique qu’il saurait cependant assumer sans complexe tout au long de son turbulent périple de vie. Guère s’en faut alors de croire que le célèbre manque de soin accordé bientôt par ce roi à ses apparats cérémoniels ou à ses accoutrements quotidiens s’inscrivait plutôt comme une provocation adressée à ses étiqueteurs ainsi qu’aux plus traditionnels défenseurs des canons ambiants de la beauté ou du savoir-vivre. En contrepoint de sa physionomie peu gratifiante, les traits psychologiques qui redorent bientôt l’image de Louis XI sous la plume de l’auteur semblent tout droit revenir des expériences individuelles, riches et successives, auxquelles ce très intrépide aspirant aux commandes des « affaires du monde », y compris à l’encontre de son père, se voit presque incessamment livré dès sa maturité. Dans ces instants du milieu du XVe siècle, où le roi Charles VII vient tout juste de reconquérir le sol annexé par le « godon » (1) depuis le désastre d’Azincourt (1415) et de dissuader les prétentions des York ou Lancaster sur la couronne française, on mesure rapidement combien le fils – pourtant très tôt associé aux manœuvres politiques et militaires de son mentor naturel (en Languedoc et Lorraine notamment) – sait déjà prendre toute distance avec les strictes directives royales en les interprétant inexorablement à sa manière. Quitte au complot contre son illustre père (deux « pragueries » auxquelles il participa), le jeune Louis XI ne semble jamais renoncer aux entreprises devant lui permettre de se hisser au pouvoir. Cette patience contrainte et cette fébrilité lui rapporteront d’ailleurs sûrement sa force dans les épreuves quand, notamment au terme d’un exil forcé en Dauphiné, le futur détenteur de la couronne trouvera la solution habile de se réfugier perfidement sous la protection de son cousin le duc de Bourgogne, échappant ainsi à la répression paternelle. Aussi bien, dans ce moment particulier qui opposa rudement Charles VII à son héritier, le roi lui-même entretenait-il sur son fils un jugement d’une extrême lucidité lorsque, en une seule déclaration légendaire il résumait la situation montante auprès de son cousin bourguignon et néanmoins grand rival en matière hégémonique, Philippe Le Bon, devenu tenant d’une cour en laquelle le « renard » accueilli sous les meilleurs auspices finirait par lui « manger ses poules ». La longue et insidieuse guerre menée plus tard contre Charles le Téméraire – et jusqu’à la mort tragique du comte de Charolais à Nancy – dirait par la suite combien celui qu’on qualifia accessoirement de dernier vrai « Capétien » avait eu de talent opportun et de suite dans les idées.
« En refusant de rejoindre son père et la plupart de ses prédécesseurs à la basilique de Saint-Denis, le roi faisait une fois de plus la preuve de son individualisme » (p.512). A l’instant de ses derniers jours et comme on le voit ici, le roi Louis XI se démarquait toujours d’un style et d’un esprit relevant des coutumes et des usages. S’agissant alors de la personnalité tout entière du personnage à travers l’ensemble de sa carrière, grâce au tableau détaillé que nous en procure l’auteur, on ne peut bientôt se dispenser d’entrevoir l’orgueil et la cupidité de ce roi de France, certes jaloux de la souveraineté du territoire national, mais qui, notamment en matière de fiscalité constamment plus pesante, n’épargnait ainsi guère son peuple tout juste libéré du joug extérieur par de rudes pressions intérieures, souvent d’abord dirigées aux fins premières du monarque. Sous cet aspect s’effacent alors les qualités que détenait incontestablement son père avant lui lorsque, notamment, ce dernier animé d’un magnifique et élevé sens de l’Etat concédait au taillable et corvéable quelque matière de justice équitable : « Nous voulons égalité être gardée entre nos sujets aux charges et frais qu’ils ont à supporter pour la tuition et défense de notre royaume, sans que l’un porte le faix de l’autre, sous ombre de privilèges, cléricatures ou autrement » (ordonnance du 19 juin 1445 sur la répartition des impôts).
Au titre d’un dossier pointant l’usage universel des compétences, que ce soit en matière de souveraineté de l’Etat ou de la conduite des affaires, le Louis XI de Sablon du Corail ne manquera certainement pas d’instruire – notamment de futurs ou actuels hommes portés par les plus ferventes ambitions politiques – des plus pointus recours d’ingéniosité ou de savoir-faire. Non par l’exemple qu’il donne de son portrait de chair mais par l’écho de ses attitudes est-il ainsi permis de mesurer avec Louis le onzième la barrière qu’il convient ou non de franchir par un savant dosage de scrupules et de calculs. Au travers des façons marquantes de Louis XI, un certain Machiavel n’y aurait pas peu trouvé sa matière voire son plaisir. Le cynisme n’est-il pas en effet un jeu inquiétant d’abord et avant tout pour celui qui le range à ses pratiques ? Une politique instaurée sans de plus audacieux degrés franchis dans ce sens conserverait-elle alors toute espérance de longévité ? Une analyse aux éclairages saisissants…
Vincent Robin
(1) Dans sa remarquable biographie de Charles VII (1981), Michel Herbuel explique cette désignation par la « déformation de “Goddam” – que Dieu me damne, juron anglais. Les Français l’utilisaient à l’adresse des occupants ».
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