Liv Maria, Julia Kerninon (par Martine L. Petauton)
Liv Maria, mars 2022, 240 pages, 8,20 €
Ecrivain(s): Julia Kerninon Edition: Folio (Gallimard)Portrait de femme ; une de plus dans le carquois de Julia Kerninon, son écriture lumineuse, ses récits portés hauts, battant à tous les vents, océans, territoires. Femme encore, à part, mais libre toujours, quel que soit le prix, et l’itinéraire.
Liv, qui signifie « vie » en norvégien, le pays de son père, et Maria, car au pays breton de sa mère, il fallait protéger de la noyade, par le nom de la madone, tout enfant qui naissait. Il était une fois, donc, dans une île, une petite fille… Abandonnée des siens, ou persécutée par l’ogre, comme dans les contes ? Surtout pas, « voulue, appelée à tue-tête » par son père, lecteur d’histoires, qui « lui apprendra à lire », et sa mère, Mado, une héroïne comme dans les livres, qui lui « apprendrait la dureté, le silence ». Une enfance iodée, avec un « corps pour la pêche, pour la nage ». Un jour, à 17 ans, il y eut « l’homme… Liv Maria avait voulu crier, mais sa voix était restée coincée dans sa gorge… ». Ses parents l’envoient à Berlin, par sécurité, dans la famille, pour ses études ; peu de temps après, un accident de voiture fauche ses deux parents ; « plus jamais sa mère, plus jamais son père, plus jamais la vie qu’elle avait avec eux ». Fin (mais on verra que la déclinaison du mot fin chez Liv est particulière) de la première époque.
Julia Kerninon étale et dévoile, par pans jamais complètement entiers, le chemin de Liv Maria, carte après carte posées devant nous ; apprentissage, un peu à la façon de ces Compagnons du devoir, qui, de lieu en lieu, lentement, peaufinent au contact de sachants différents, un art de faire, de construire, comme chez elle, un « art » de vivre libre, de le bâtir tel qu’elle veut qu’il soit, comme on construirait une maison ou fignolerait une sculpture. Lieux et rencontres d’hommes évidemment. Il y aura Berlin-Fergus, puis Chili-Carrar, puis Irlande-Flynn et sa mère Nora. Comme souvent dans les autres beaux livres de Kerninon, les lieux, les paysages, l’habillage de l’histoire, les monuments et bien sûr les bibliothèques campent fièrement dans le récit jalonné avec précision des dates. Berlin cherche la liberté dans les livres, les études, et les langues – l’anglais, notamment, pas celui qui serait trop scolaire, mais celui « pour pénétrer le cœur des choses ». Rencontre de Fergus, le professeur, marié, irlandais, bien plus âgé qu’elle, le Pygmalion et l’amant découvreur du corps ; « l’inconnu, la transgression, la frontière », Juin, Juillet, Août 87, 18 ans. Un amour de vacances initiatique à la sauce Kerninon. Un socle, une fondation, un Fergus-amour-toujours, et le vécu du départ, de la rupture. Le Chili (choisi par la lecture de Pablo Neruda), étape de la construction, de l’entreprise ; l’Atacama, une maison d’hôtes, un associé – marié avec enfants –, là encore, plus âgé, encore « le sexe avec Carrar était chaud et sec, sans fioritures mais non sans grandeur, s’étirant dans le temps, impeccable et précis ; après ils sortaient boire des margaritas glacées ». Quand elle partit « plus au nord… acheter des chevaux, vendre des chevaux », la liberté grandit d’un coup – les chevaux, sans doute – et Carrar qui s’éloigne, ligoté par le « sens de la famille » de ces contrées-là. Enfin, la rencontre du routard amoureux du bois, Flynn, celui qui a son âge (« mystérieusement, elle retrouvait dans les cheveux de Flynn, l’odeur de plusieurs maisons où elle avait vécu »). L’irlandais, le port d’attache, celui auprès de qui elle pose ses valises et enfin fait souche avec leurs deux petits garçons ; Le retour dans une île ; Boucle bouclée ? croît-elle, croient-ils aussi, Flynn, et sa mère Nora…
Mais les trajectoires chez Julia Kerninon ne sont jamais droites, encore moins prévisibles, et les histoires ne sont jamais finies nettes, comme on tourne la page ; le tragique s’invite souvent, pas moins d’ailleurs que la liberté…
« Quand Flynn la tenait entre ses bras la nuit, il discernait toujours ce parfum de fleurs et de pluie, une tristesse dont elle ne parlait pas… ».
Martine L Petauton
Julia Kerninon, née en 1987, s’est fait remarquer par plusieurs romans et récits autobiographiques.
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