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Lire, nous dit-elle… Et pouvoir mieux vivre…

Ecrit par Martine L. Petauton le 29.04.15 dans La Une CED, Les Chroniques

Les livres prennent soin de nous, Régine Detambel, Actes Sud, mars 2015, 156 pages, 16 €

Lire, nous dit-elle… Et pouvoir mieux vivre…

 

« une page, une phrase nous donne de nos nouvelles »

Régine Detambel nous a habitués à ne pas écrire – en écrivant pour autant, mieux que tout le monde – les livres de tout le monde.

C’est plus, par ses sujets, que par sa façon, qu’elle intrigue, intéresse, et qu’on s’arrête là, partout, où sont ses signaux – tant ! des romans aux essais, partout où cette grande dame de la littérature, plutôt du livre en fait, vient, pour nous offrir quelques pages de bonheur… grand cru, s’il vous plaît !

Elle s’attaque ici (Les livres prennent soin de nous) – petit opus in-dis-pen-sa-ble, tout juste sorti des presses de Actes Sud – superbe illustration de couverture d’Ursula Bucher – à ce qui – ailleurs – pourrait s’apparenter à une mode un rien bobo : la Bibliothérapie (créative) – Tu ne connais, pas, chère ! C’est pourtant tendance ; un peu les huiles essentielles des libraires « in »… On savait déjà que les vaches avaient plus de lait en écoutant Mozart, et vlan, voilà pour la Musicothérapie ; que marcher, même en allant acheter son pain de tous les jours, pouvait prendre un tour « méditer sur soi-même » qu’on ne supposait pas ; que… s’habiller en vert-pomme remontait aussi sec le moral.

Alors, bien entendu, qu’on a tous en tête ce livre (mais, lequel !) qui, ce jour de grand chamboulement, nous a permis d’atteindre le soir (« je n’ai jamais eu de chagrin, qu’une heure de lecture n’ait dissipé » disait Montesquieu), que quand ça va pas trop, on dévide ce poème, comme on se chanterait – bercerait – une chanson, pour endormir la douleur. Mais qu’est-ce qu’elle croit, Régine Detambel !! Les livres sont dans nos vies, et quand on les tient entre nos mains – les nôtres – il se passe forcément des choses… et nous, de sourire, limite condescendance. Le lait / les vaches / Mozart…

Mais, c’est Detambel, et on risque l’ouverture de son petit livre, le crayon à la main – on va sûrement en dire quelque chose dans « La Cause Littéraire », et au bout – rapide, quelques heures « dans » le livre sans relever le nez – il y a du crayon partout ; tout est important dans ce qu’elle nous dit là. Ce n’est plus un livre, c’est un fondamental, comme on disait, jadis, dans nos lycées, des Lagarde et Michard. Du lourd.

Les livres soignent, et il y a des bibliothérapeutes, mais – est fait un sort à la chose, d’entrée – pas question de cautionner ces façons anglo-saxonnes où l’on vous prescrit des essais du type : tout sur les dépressions saisonnières ; ça, c’est dans un livre, mais c’est platement tout. Pas, non plus, de similitude avec le médicament – tiré fortement sur le médical pur – du genre : vous me donnez quoi à lire pour mes spasmes du colon ? Et, pour le diabète (chronique, attention !) de mon mari ? Même si (nous l’apprenons) des thèses médicales s’écrivent sur le sujet, que des champs de la Psychiatrie ont inscrit la Bibliothérapie et ses ateliers dans leur cahier des charges au même titre que l’Artthérapie dont les bienfaits ne sont plus à décliner… Detambel arpente d’autres chemins (ou au moins, nous les montre, car, la position maître qui-sait-et-dit, sauce Gourou, ce n’est jamais elle). « Porté par la page, le lecteur échappe au moins temporairement à l’angoisse, à la tristesse, quand ses ruminations sont chassées par les périphéries que le récit lui impose ». Livre transmetteur, médiateur, et bien sûr, passeur. Livre qui détourne les vagues les plus menaçantes ; digue protectrice et, en même temps, ouverture sur le grand large de tous les possibles. Livre qui doit « raconter », nous inscrire dans un récit ; syntaxe, temps grammaticaux ; autres « je » – tapis volant des Mille et Une Nuits, dont elle parle, du reste ; le roman ayant dans l’affaire une bien plus longue portée thérapeutique que l’essai. Trafic d’imaginaires entre lui et nous…

Partisane à ce titre d’une bibliothérapie littéraire, donc, créative, Régine nous convainc facilement. Livre-outil de re-création de soi, et des soi, de remaniement de toutes ces trames et chaînes mentales, intellectuelles qui signent un permis de vivre. C’est là, que l’atelier, sa guidance, son mode collectif, son interactivité évidente, prend sens. Lire, et quoi ; échanger sur, le faire à voix basse ou haute, recevoir et comment des pages, savoir que « dans un livre, on est toujours chez soi ; et que, même en pension, même en prison, le livre est une chambre à soi… ».  Lire, c’est aussi convoquer le corps ; ce que ça lui dit, et rappelle probablement ; ce que ça malmène avant que de ramener. « Lire, la vraie randonnée qu’on vivrait en conscience ». Toucher le livre, enfin, le humer, se souvenir d’un « poche » rien qu’à son odeur ; qui d’entre nous ne le peut !

Tout ça est bel et bon. Detambel est constamment dans un pouvoir de conviction, presque  militante, qui entraîne et fait de nous les adeptes de ce lire-agir particulier. Son lire, ses ateliers, leurs résonances, leur bienfaisance. On achète. Et s’il n’y avait que cela, on passerait avec son livre sur le livre un bien riche moment.

Mais il y a tellement plus. Au-delà de ce qui sonne à notre raison, notre intellect, il y a ce quelque chose qui parle aux affects, à l’émotionnel ; ce presque rien, presque tout, qui a nom amour, passion, et qui campe sur – tiens donc ! – la littérature. Et, ça, R. Detambel excelle à nous le faire sentir, toucher, là encore. La gestuelle, la danse sans doute aussi, pointent le nez au détour de la page – du moins, on le ressent ainsi. Comme elle a raison, la Kiné Detambel, de parvenir à inscrire en nous, cet acte de lire, au même titre que les autres de notre vie-tout-l’être, sans rien lâcher sur le package – esprit, cœur, corps. L’essence donc de notre existence. Elle les convoque tous, les grands auteurs de « la » classique, ceux, plus d’aujourd’hui, ceux encore – les chercheurs – qui se sont penchés sur le sujet des pages entières. On voudrait recopier ce qu’ils ont dit du pouvoir de ce qui s’écrit, ce que ça leur faisait à eux aussi. Choisir ? Lamartine a le pouvoir d’équilibrer la douleur par son bercement doux – « ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges / jeter l’ancre un seul jour », tandis que Baudelaire est un coup de fouet jouant sur l’atonie… mais, peut-être surtout Freud : « partout où je suis allé, un poète était allé avant moi ». A moins que Colette, et son « savoir décliner » précieux comme viatique…

Ce n’est qu’à la fin du livre –  mais, on l’attend, on le pressent, tout du long – que R. Detambel parle d’elle et de ses expériences du pouvoir de lire. Émouvant – est-ce banal de le souligner, car on s’y retrouve tous, dans cette adolescence (« déguisée en jeune fille, ma croix d’adolescence au cou, mon fardeau de croissance aux épaules ») : ce goût de Goethe, ce « Chéri » acheté chez un bouquiniste de Montpellier,  ces « Bob Morane » qui émaillaient ses étés…

« Les livres prennent soin de nous » ; remarquable Detambel, arrivant au Printemps des livres, et de leurs joyeuses foires et fêtes. Comme un oiseau d’excellent augure pour nous tous, qui pourrait bien porter nos étés à venir.

 

Martine L Petauton

 

Les livres prennent soin de nousRégine Detambel, Actes Sud, mars 2015, 156 pages, 16 €

 

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A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)