Lire les Rivières précédé de La rivière des Parfums, Bernard Fournier
Lire les Rivières précédé de La rivière des Parfums, Editions Aspect, juin 2017, 90 pages, 14 €
Ecrivain(s): Bernard FournierAu commencement était une voix, … – voix de la source, onde féminine, affluent et don d’amour, offrant leur chant à l’infini de la mer, pour « un appel, un vœu, un secret ».
« Une rivière dit tout à la mer »
« Toutes les rivières se ressemblent, toutes les eaux sont sœurs et tous les fleuves croient à la mer ».
Ainsi débute le recueil du poète Bernard Fournier : en invoquant « l’œil aux aguets » (le nôtre) pour écouter le « parfum des rivières ». L’œil écoute descendre et battre les eaux entre les rives, comme battent les pulsations du cœur, les flancs d’une femme éprise d’une soif d’aimer et d’être aimée, l’espoir « à la jointure du ciel ».
La « rive »/ les « rives »est/sont contenue(s) dans le mot / le lieu-dit de la « rivière »… Contenues comme les poèmes contiennent, entre les rives de la page et sur les berges de l’émotion, l’épanchement des mots dans l’envergure/le souffle retenus des feuilles ; comme la topographie des textes de Bernard Fournier figure l’épanchement dompté par le poème, l’ampleur lyrique modérée par les cadres/rives de l’espace poétique.
Au commencement s’énonçait une voix, … – mais quelle voix ? :
« Une voix,
Ai-je entendu une voix ?
Un soupir seulement, une détresse peut-être, une solitude dite du bout des lèvres
(…)
Ai-je entendu le vent dans les branches, le glissement des eaux sur les
berges
et les coques, les coups de rame, les moteurs,
Faible voix intérieure conduisant avec obstination une fleur dans le fleuve ;
(…) »
… puis le mouvement insuffla le rythme, dans ces toujours premières palpitations du monde, dans le lit accueillant de la terre, les bras d’une femme, dans « une grande ouverture de bras »…
Aucune dérive dans ces poèmes, aucune crue, dont la rivière aux reflets « vivants, vivaces »nourris aux sources vives du chant d’amour, coule son lit, « creuse et ne dort pas ». La voix de la rivière, « la petite voix intérieure » diffusent depuis les berges de la vie courante le chant des « promesses »(« J’entends la promesse venue de si loin dans l’espace et dans le temps »,écrit le poète, « Et décide, sur un seul baiser,/ De répondre à la vie ») et son cours ne rencontre pas l’écueil mais au contraire accueille « tous les mots du monde »dans le monde des mots, accueille en tremblant « la beauté du monde »pour lancer de son bord, sur « la rive auxyeux rieurs », « une prière, une louange, un merci au ciel, à la terre, à la mer (…) ».
La poésie à la rescousse coule dans les veines de la solitude, aussi fluide, aussi profonde, que la source vive des rivières. Une « fleur de papier » rencontre tout au long de La Rivière des Parfums la barque des mots, où se (re-)poser le temps d’une traversée, même le laps d’un gué toujours régénérateur. Il suffirait parfois de s’imaginer remplacer le mot de « rivière » dans le texte par celui de « poésie », pour s’apercevoir que le sens n’en est pas altéré, preuve que rivière et poésie s’ouvrent les bras, s’embrassent, et s’embrasent de leur matrice élémentaire mêlée (l’eau et le feu) :
« Quelle ne fut pas la solitude de cette femme parmi la foule,
Pour qu’elle donne à la rivière un peu de son âme,
Pour qu’elle imagine un futur ?
(…)
Une fleur, fût-elle de papier, peut répondre au ciel de ses yeux,
(…)
Une fleur, grande ouverte au soleil peut tirer à soi l’haleine de la rivière pour
naviguer avec elle ; »
Le point-virgule signant chaque texte de La Rivière des Parfumsressemble à l’un des pétales de cette « fleur de papier »formant corolle vers le ciel à la « jointure »duquel fleurit l’espoir.
La femme, la rivière et la poésie forment le lit de cet opus relié par le fil d’une écriture au cours limpide, avec une versification libre respectueuse d’un certain classicisme. Une écriture au cours fluide comme celui d’une rivière magnétisée par la poésie. Comme la vie au cours fragile, le flux des mots s’écoule dans une patiente ferveur et l’écoute attentive du monde. Écoute sensible puisque l’œil est aux aguets. Écoute mémorielle, puisque les alluvions forment des strates d’écriture de traversées humaines, d’existences gravées sur l’écorce terrestre pariétale, puisque de mémoires il ne restera véritablement que le chant des mots dans la rivière des rêves poétiques (cf. L’eau et les rêves de Gaston Bachelard).
La rivière comme « promesse »,« eau de jouvence », (res-)source, ouvre la voie à Ulysse, figure mythique à la proue d’une destinée voyageuse exécutant de hauts faits le temps d’une existence, héros du flux et de l’avancée défiant les vagues secouant les eaux manquant de sombrer et refaisant surface, aux antipodes d’une Ophélie dormant en son « linceul ».
Lire les Rivières revient à s’embarquer (la première partie s’intitule En barque). À prendre le pouls et les mouvements de la mer au rythme de va-et-vient et de ressacs, d’à-coups, d’écueils, de « remous », de remontées
« Je rêve d’une barque : trois coups de rame, et vogue le navire,
Je rêve d’une barque comme planche de salut vers des contrées lointaines
Je rêve d’une barque à forcer le courant comme un cheval rétif ».
« Je rêve avant de m’embarquer », écrit le poète Bernard Fournier.
Dans la barque de son corps jeté dans l’océan du monde, le rêveur navigue dans « l’équilibre et la sérénité », il « tangue »,son cœur accroché sur les bords d’une carène qu’il colmate lui-même pour maintenir le cap de son existence,
« Je navigue à mon aise
Dans les barques du soleil,
Je prends chaque branche
Comme l’oriflamme du royaume des bois
Et fouette allègrement les vagues de mon rêve »
L’on passe ainsi sa vie « en pointillés sur les cartes »…
Une fois embarqué, « le nautonier »pousse sa Traversée inaugurale(titre de la deuxième partie) et
« Il connaît le danger
Il connaît le passage
Il connaît la manœuvre ; »
Lire les Rivièresest un boat-moviepoétique. Nous avançons au milieu des flots progressivement après avoir été sur la rive, après avoir embarqué, et, au mitan de la navigation nous sommes entre l’abîme de la terre vertigineuse, resplendissante de tant de beautés, et l’abîme où de « fabuleuses traversées »font « chavirer le temps dans(le) silence ».
Le retour sur la rive ferme délivre les remous, les tremblements de l’émotion face à « labeauté du monde ». Délivrance orchestrée par la grâce et l’écriture poétique du « livre-rames » qui recommence le voyage d’Ulysse, pour tisser la toile de l’univers compris dans les mots, le récit des mots. Ulysse/L’Homme tisse son histoire dans le flux temporel et sur les flots, comme le récit de sa traversée se tisse, toile de tisserand tendue dans le cours du temps, sur le châssis des mots.
Les textes du poète Bernard Fournier sont ces « Galets » et ses poèmes, ces rivières, que roulent le monde et les mots…
Murielle Compère-Demarcy
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