Lions, Pau Mirò
Lions, traduit du catalan par Clarice Plasteig dit Cassou, 2013, 127 pages
Ecrivain(s): Pau Mirò Edition: Espaces 34Le revenant
Lions est une pièce « d’après ». Elle succède à Buffles et précède le dernier volet de la trilogie animale, Girafes, édité en 2014. Le texte renvoie aux évènements évoqués dans la pièce précédente ; p.51, la mère dit dans une réplique :
Il y a quelques années on a gagné au loto. Pas énormément d’argent, mais quand même une belle somme.
Trois semaines plus tard mon… mon fils, mon petit… est mort.
L’action se déroule « dix ans plus tard » (p.86). Cinq personnages dont trois figuraient déjà dans Buffles (la mère, le père et la fille) se retrouvent dans cette ville sans nom, dans le décor de la blanchisserie, de l’atelier du père. Et Mirò de mettre en avant par une didascalie inaugurale la structure temporelle de cet opus 2 de sa trilogie (p.8) :
EPOQUE ACTUELLE
Les deux nouveaux protagonistes sont le jeune homme, David, et le commissaire du quartier, Lopez. Le texte s’étoffe en nombre de pages, et semble s’élaborer selon une dramaturgie plus « régulière ». L’unité de temps se bâtit sur la succession entre I et II grâce au passage de la nuit au lendemain matin. Les personnages très identifiables sont associés à un dialogue, alors que dans Buffles, des blocs narratifs faisaient avancer l’intrigue. Lions pourrait être considérée comme une pièce policière ; en tout cas elle présente les ingrédients du genre : un cadavre, celui de Vincent, le dealer ; une arme blanche (un couteau) ; un enquêteur (Lopez) ; un suspect, David ; des alibis ; une fausse piste et surtout un dialogue-interrogatoire, un questionnement lent. La fable animale, quant à elle, a quasiment disparu. Elle n’est plus désignée dans le titre de la pièce. Les animaux traversent l’espace textuel comme des ombres, des silhouettes. David a un chien au nom très humain, évoquant un titre du groupe américain Yo la tengo : Mr Ameche (plays the stranger) qui parle une fois à son maître. Un zèbre se noie dans une piscine de zone résidentielle. A la fin de la pièce, dans un long passage de didascalies, une phrase fait surgir l’animal-titre : « Le jeune homme voit passer un lion ». Pourtant tout autour, la ville s’étend avec ses quartiers glauques, ses rues sombres, le trafic de shit, les prostituées. Plus loin, des pavillons avec leurs piscines. Mais par-delà ce décor urbain tangible, Mirò introduit dans son texte des fantômes. Ainsi le jeune homme qui pénètre dans la blanchisserie au début de la pièce et s’en va à la fin (p.126) est-il peut-être un re/venant, Max, l’enfant disparu de Buffles. A plusieurs reprises, la fille dit et redit :
La première chose que je me suis dite…
Silence
C’est que c’est Max (p.96)
Tu ressembles à mon frère
Tu lui rappelles Max
Mais tu lui rappelles Max (elle parle de sa mère) et à moi aussi (p.121)
Un chien aboie au moment du départ du jeune homme. Il s’agit sans doute d’une « apparition » du chien mort de David. La chemise ensanglantée du petit enfant Max, objet du tragique dans Buffles :« c’est une petite chemise de petit enfant, tâchée de sang » (p.50) devient la chemise que le jeune homme donne à laver à la jeune Sara, la jeune fille à l’ouverture de Lions dans la même blanchisserie. Le jeune homme (p.43) dit « Cette chemise… » comme si cette dernière était chargée d’un mystère inquiétant. Le langage lui-même dans l’ensemble de la pièce est comme « gelé » par le retour régulier de la didascalie, silence, dernier mot du texte avant le noir. Assez souvent en effet les répliques sont entourées par cette indication. Le silence en dit plus que la parole qui jamais ne peut véritablement déborder, atteindre un sens. A la fin de la pièce, nous n’apprendrons rien sur l’identité du coupable, sur la personnalité profonde de David, sur les véritables sentiments de Sara. Les répliques d’ailleurs entre personnages sont courtes à l’exception d’une tirade du jeune homme (p.115) qui en fait fonctionne sur le mode du récit de théâtre au passé, décrivant la nuit du meurtre de Vincent, le dealer, comme si le présent de ces cinq personnages n’existait pas réellement. Mirò semble condamné à revenir en arrière avec Girafes, condamné à retourner dans le temps « d’avant ».
Le texte de Mirò a fait l’objet de diverses lectures et mises en espace en France, notamment au théâtre du Rond-point, au Théâtre Ouvert, dans le cadre des Nouvelles dramaturgies catalanes en 2011, au Printemps des Comédiens de Montpellier en juillet 2013, à la maison Antoine Vitez en Avignon, et à Regards croisés à Grenoble.
La pièce Buffles a été l’objet d’une chronique, le 30 septembre 2013.
Marie Du Crest
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