Lieux exemplaires, Flora Bonfanti (par Frédéric Aribit)
Lieux exemplaires, Editions Unes, septembre 2018, 75 pages, 16 €
Ecrivain(s): Flora Bonfanti
« Formuler une phrase, c’est allumer des torches, distribuer le feu en torches ».
Flora Bonfanti sait bien le feu qui n’en finit pas de couver dans les phrases. À mi-chemin entre l’étincelle de l’articulation originelle, et l’incendie qui embraserait tout le langage, il y a le rougeoiement des braises où naissent les premières flammes. Braises : celles de son Brésil d’origine sans doute, et de toutes ces langues qui parlent en elle comme autant de torches vives.
Les Lieux exemplaires qu’elle vient de publier se partagent en deux espaces distincts, deux textes exigeants qui interrogent pareillement poésie et philosophie ab initio, depuis ce moment où nommer le monde, c’est le faire advenir, et faire advenir en même temps un autre jeu d’équivalences qui renouvelle notre regard. Ceci est, ou n’est pas cela : être, c’est toujours attribuer. D’où cette dimension fortement attributive de l’écriture de Flora Bonfanti, où s’ouvre la grammaire des possibles.
Le Précis du silence et du bruit confronte ainsi les « asymétries » de l’expérience axiologique et de magnifiques « symétries imaginaires » qui retournent le donné du monde. Les premières se lisent par éclats, par fragments métonymiques – une mère et son enfant, un couple dans un lit, un meurtre, une valise à roulettes sur le pavé… – qui disent le bien ou disent le mal dans le murmure ou le tapage. Les secondes au contraire se déploient plus amplement dans la pensée, prennent le temps du paragraphe pour développer leur étrangeté, et expliquer le retournement auquel elles nous invitent. « Et si la destruction et la construction devenaient symétriques ? ». Aussi laborieuse l’une que l’autre ? Le temps contre l’instant, de construire, de détruire des immeubles, un être humain, l’amitié… C’est toute une mythogenèse qui prend corps par le pouvoir du conditionnel, instrument par excellence de l’imaginaire poétique.
Dans Les véhicules de l’esprit, Flora Bonfanti plonge plus explicitement encore à l’origine même, lorsque les mots s’allument et se propagent comme le feu du vol premier, le feu prométhéen. Véhicules donc, et métaphores filées : une même urgence de transport vers cet ailleurs, cet autre, cet impensé qui nous fait « plus intelligents en ce que nous sommes qu’en ce que nous pensons », et qui nous ramène à l’être originel qui court en nous, dans la caverne de l’esprit, en brandissant sa torche de langage toujours soumise au risque de l’extinction. Brûle le feu, Flora Bonfanti.
Frédéric Aribit
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