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Li Qingzhao : la fleur de la mélancolie (par Véronique Saint-Aubin El Fakir)

Ecrit par Véronique Saint-Aubin Elfakir le 09.07.19 dans La Une CED, Les Chroniques

Li Qingzhao : la fleur de la mélancolie (par Véronique Saint-Aubin El Fakir)

 

A l’ombre des canneliers, Li Qingzhao, l’illustre poétesse chinoise, semble nous sourire à travers ces siècles qu’elle aura su traverser avec élégance et raffinement. La particularité́ de son œuvre réside dans la sensualité́ et l’extrême sensibilité́ qui émane de ses textes à une époque où se développe un type d’esthétisme plus impersonnel. Li ose la singularité́ et échappe ainsi à toute forme de normativité́ en assumant avec audace sa propre subjectivité́ à travers une forme de poésie chantée très codifiée dans sa forme et dans ses rimes que l’on nomme « le Ci » (1).

En ces débuts, la poésie de Li Qingzhao est une ode à la jeunesse et célèbre cette passion ardente pour son époux en une sorte d’érotisme extrêmement vibrant et subtil. Elle échappe ainsi aux carcans de l’époque comme en témoigne le texte suivant :

Crépuscule. Soudain, des rafales…

 

« Crépuscule. Soudain, des rafales

De vent et de pluie

Emportent la chaleur accablante du jour. Elle cesse de jouer

 

De sa flûte de bambou

Et devant son miroir

Serti de fleurs d’eau Légèrement, elle se farde. La soie écarlate de sa robe Est tellement fine

 

Qu’on voit luire sa peau Blanche comme la neige Lisse et parfumée. Souriante, elle se tourne Vers son bien-aimé́ : Ce soir,

 

Derrière le rideau de mousseline, La natte et les oreillers

Seront frais » (2)

 

De nombreuses métaphores décrivent de façon allusive la passion des corps et des cœurs qui s’unissent à l’image de ces épingles d’or qui glissent de ses cheveux, d’un brûle-parfum de jade d’où s’échappent des volutes d’encens ou d’une robe où dansent les ombres clairsemées des fleurs de prunier.

Mais quand vient le temps de la chute, l’ivresse se métamorphose en une ode à la mélancolie, la nostalgie du temps passé prédomine. Elle tente alors de ressusciter quelques éphémères bribes de bonheur avec une sincérité́, une simplicité́ et parfois même une impudeur extrêmement touchante :

 

Cette nuit, fatiguée par le vin

 

« Cette nuit, fatiguée par le vin J’ai retiré bien tard

La parure de mes cheveux, Piquant une branche de prunier Dans un vase.

 

L’arôme du vin et des fleurs Brise mon sommeil de printemps. Mon rêve s’éloigne,

Plus d’espoir de le retrouver.

Les voix s’éteignent.

La lune descend

Derrière les rideaux d’émeraude. Entre mes doigts je froisse

Les fleurs fanées,

Savourant leur dernier parfum, Tandis que le temps s’écoule » (3)

 

Li Qingzhao métamorphose toutefois cette perte en voyage poétique dont la douceur et la tristesse poignante célèbrent le passage des saisons et la fin de la jeunesse. Toujours tumultueuse et singulière cependant en son âge mûr, elle n’hésite pas à parler de son goût pour le vin et de l’inévitable flétrissement du corps. Sans fausse retenue, elle nous livre le désarroi de voir sa beauté́ s’enfuir car « le printemps passe, comme nous passons ». Cependant l’art, l’esthétisme, la beauté́ de la lune ou des fleurs viennent encore avec suavité́, réveiller la flamme vacillante de ce corps délaissé :

 

Après ma maladie…

 

« Après ma maladie, mes tempes dégarnies Ont blanchi

De mon lit, je contemple

Le croissant de la lune

Qui traverse la fenêtre.

Avec des muscades et leurs tiges,

J’ai préparé́ du thé.

Mais il n’y a personne

Pour le partager.

Sur mes oreillers,

Entourée de livres et de poèmes,

Je savoure mon loisir.

En face de ma porte,

Le paysage est beau,

Après une petite pluie.

Tout le jour, les fleurs du cannelier M’envoient les effluves de leur parfum » (4)

 

Li ose donc se dévoiler dans ses sentiments les plus intimes et c’est sans doute cet aspect qui la rend si contemporaine. La pureté́ de ses sentiments et la simplicité́ de ses compositions évoquent cet « unique trait de pinceau » propre à la calligraphie et la peinture chinoise. L’image jaillit, saisissante et fulgurante comme un jet d’encre et compose une sorte de paysage intérieur aussi éclatant qu’un bouquet de pivoines. Ainsi, paradoxalement, la poésie de Li Qingzhao qui ne cesse d’évoquer le passage du temps n’a pas d’âge. Elle est cette fleur toujours renaissante à travers chacun d’entre nous en cette trajectoire qui évoque la jeunesse, l’éclat, la chute et pour finir l’envol :

 

Dans le jardin oisif

 

« Dans le jardin oisif,

Sous ma fenêtre, sévanouissent

Les couleurs du printemps.

En haut du pavillon,

Sans dire un mot,

Je joue du luth

Incrusté de jade.

Les nuages, qui surgissent

Au-dessus des monts,

Précipitent le crépuscule.

Un vent léger,

Mouillé de gouttes de pluie,

Joue avec des lambeaux de brume. Résignées, les fleurs du poirier s’inclinent : Rien ne peut arrêter leur chute » (5)

 

Véronique Saint-Aubin Elfakir

 

(1) Nous nous référons ici pour la partie biographique au livre de Joël Cornuault, Nostalgie de Wou-Ling, éd. Pierre Mainard, 1999.

(2) Li Qingzhao, Les Fleurs du cannelier, La Différence, 1990, p.41

(3) Ibid., p.51

(4) Ibid., p.115

(5) Ibid., p.113

 

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A propos du rédacteur

Véronique Saint-Aubin Elfakir

 

Véronique Saint-Aubin Elfakir, philosophe de formation et docteur en littérature comparée, enseignante à Brest, poète et essayiste. Un recueil à paraitre aux éditions Unicité́ en septembre 2019, et un autre publié chez L’Harmattan, intitulé Dire Cela, dans la collection Poètes de cinq continents, en 2011, ainsi qu’un essai sur la poésie, Le ravissement de la langue : la question du poète, en 2008. De multiples collaborations à des revues : Recours au poème, Lichen, Incertain regard, 7 à dire, Terre à ciel. Auteur également d’un essai portant sur la littérature de voyage, Désir nomade, L’Harmattan, 2005. Et également en 2017, Ecrire pour vivre, qui interroge le lien entre création et souffrance.

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