Lettre ouverte aux auteurs Indépendants, par Mélanie Talcott
Réponse à l’avalanche de commentaires délétères émis suite à une chronique que j’ai rédigée sur mon blog :
Chroniquer un auteur indépendant, c’est carrément se tirer une balle dans le pied dès lors que l’on adhère pas au compliment dithyrambique qui a transformé peu à peu l’autoédition en un univers fermé, une espèce de fraternité gélifiée avec ses codes vestimentaires, ses commentaires en listing, ses guéguerres de tranchée et ses omertas. Alors que les choses soient bien claires : je vous emmerde !
Chroniquer un auteur « Indé » c’est mettre le doigt dans un monde où comme dans la vraie vie pullulent des teignes égotiques qui se prennent souvent pour des génies incompris et ont l’amertume vengeresse, tout en brandissant la pancarte « je suis bienveillance ». On s’y bat pour être au Top 100 Amazon, tout en chiant sur ce géant capitaliste où pourtant on va toutes et tous barboter, indés ou non, en espérant que le nombre exponentiel des ventes nous sauvera de la noyade anonyme.
On s’y congratule entre soi. On se refile, de groupe en groupe, la patate chaude de compliments à trois balles, s’arrêtant souvent au titre de la chronique ou de son chapeau, en mode zappage neuronal. Il est vivement conseillé de sortir la brosse à reluire, de passer sous un silence bon enfant les livres que l’on ne ressent pas – terme hautement en vogue. Quant à ceux qui sont mal foutus, mais qui méritent que l’on s’y arrête, il vaut mieux y aller à reculons, un auteur indépendant semblant se résumer à une petite chose besogneuse et fragile, prête à casser à la première brise venue, et qui n’aurait à apprendre que de ses pairs adoubés, triés sur le volet. Ainsi, un lecteur lambda qui met un commentaire négatif est un salaud qui s’ignore, cloué aussi sec au pilori de la virtualité triomphante, de ses « fessées virtuelles » (dixit le commentaire d’une Indé) et autres polémiques aussi stériles qu’assassines.
Chroniquer un de leurs bouquins, c’est carrément se tirer une balle dans le pied dès lors que l’on adhère pas au compliment dithyrambique qui a transformé peu à peu l’autoédition en un univers fermé, une espèce de fraternité gélifiée avec ses codes vestimentaires – le paraître primant sur l’être –, ses commentaires en listing, ses guéguerres de tranchée et ses omertas. Un monde égoïste et autosatisfait où, lorsqu’on y mendie sa place, l’on a intérêt à ne pas sortir du cadre. Une reproduction minimaliste, mais non moins pathétique pour autant, similaire à celle qui enfièvre l’édition traditionnelle, Gallimard & Co, souvent objet d’opprobre et de mépris de la part des auteurs indépendants, tant qu’ils « n’ont pas été repérés par… »
Et au milieu de tout ce bordel, dont la violence et l’agressivité sont effarantes, mais malheureusement en osmose avec notre société actuelle, il y a des talents et des écrivains qui rament, se bouffent la moelle jusqu’au sang pour nous donner des livres qui ont quelque chose à dire et à partager.
Oui, je ne suis personne. Du moins pas au sens où l’entendent certains. Mon nom n’est en haut d’aucune affiche. Mais cela signifie-t-il que celle ou celui qui n’a pas cet honneur, si honneur il y a, n’est rien ? On vit une époque formidable. Une époque où le bel emballage fait foi plutôt que le contenu – on s’en fout si c’est pour mieux planquer la mocheté des contrefaçons ! Une époque où les non-éduqués s’opposent aux civilisés, où oser dire ce que l’on pense – et restons calmes et pudiques, il ne s’agit que de bouquins, je n’oublie jamais qu’il y a des centaines de gens qui crèvent de faim ou sous les bombes à chaque minute – est pour certains auteurs indépendants un camouflet. Un coup de pied au cul dans leur orgueil.
Alors que les choses soient bien claires : je vous emmerde !
Mes critères : Les livres d’Indés que je chronique, je les achète. Pour garder mon indépendance et parce qu’écrire mérite aussi salaire. Même quand je les trouve sans grand intérêt, je les lis de la première à la dernière page, du moment qu’ils ne soient pas pourris par les fautes d’orthographe ou grammaticales. Il m’arrive également de lire les bouquins d’un seul auteur (indé ou non), soit pour dégager le tempo de l’œuvre, soit pour mieux m’imprégner de son univers.
Mais dans tous les cas… je me fous de savoir qui écrit le livre, si l’auteur est Blanc, Noir ou Jaune, homme ou femme, fauché ou riche, vieux ou jeune, and so on…
Je me fous de savoir si c’est son premier ou son dernier opus. On a tous des hauts et des bas et certains écrivains, pourtant portés au pinacle littéraire, sont en mode encéphalogramme plat depuis des années bien qu’ils remplissent les têtes de gondoles !
Je comprends qu’un livre ne soit pas toujours bien écrit. Mais si par ailleurs son contenu est flamboyant, qu’importe ! La qualité d’écriture, l’emballage, n’est pas l’unique critère à retenir et ne fait pas d’une histoire banale, un chef d’œuvre. Les pousseurs de caddies que nous sommes devenus ont une fâcheuse tendance à l’oublier. Je connais des gens qui n’ont pas de talent d’écriture, qui ne savent pas parler, qui s’embrouillent dans leurs idées, des non-éduqués, qui possèdent des qualités humaines que j’envie et dont la plupart des gens qui se revendiquent civilisés est dépourvue…
Les bouquins qui en ont, du contenu et du contenant, enfin ceux qui piquent et aiguillonnent ? C’est aussi rare que de trouver des orties dans le désert ! Rimbaud n’a pas écrit que des poèmes à faire trembler nos nuits, pourtant tout le monde s’en réclame, comme de Proust, mais sans avoir été plus loin que son fameux incipit « Longtemps je me suis couché de bonne heure ». Bien peu ont lu Tant qu’il y aura des îles de Chancel, un livre de colère et de tendresse, quoi que l’on pense du bonhomme, ou connaissent Ma Jian, écrivain chinois ou Andrés Caceido, écrivain colombien.
J’ai envie qu’un livre m’apprenne quelque chose, qu’il me fasse grandir, rire, pleurer, rêver, voyager. J’ai envie qu’il m’égratigne, qu’il me blesse et que s’il me tombe des mains, c’est parce qu’il me bouleverse. C’est une attitude d’acrate que celle de prendre soin de ce que l’on fait.
A bon entendeur, salut !
Mélanie Talcott
Publié également à L’ombre du regard
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