Lettre à Louis Calaferte, Valérie Rossignol (par Didier Ayres)
Lettre à Louis Calaferte, Valérie Rossignol, éditions Tarabuste, janvier 2019, 84 pages, 11 €
Relation à l’inconnu
Ce joli livre de chez Tarabuste, de la collection Brèves Rencontres, m’a permis de suivre un exercice d’admiration très bien construit et m’a fait éprouver du plaisir. En effet, Valérie Rossignol se livre dans cet opuscule à une mise en relation/mise en scène de son rapport avec l’écrivain Louis Calaferte sous la forme de quatre lettres et de quelques citations des ouvrages de l’auteur – ce fils d’immigré italien, né à Turin. Il y a donc ici la rencontre d’une lectrice féministe et d’un auteur qui bat en brèche les doctrines de genre, et ainsi présente par un effet de miroir l’opinion de V. Rossignol qui, en tant que femme, verse dans une étude critique des lois machistes, et là-dedans de certaines pages rudes de Calaferte. J’ai dit exercice d’admiration, mais le vrai mot serait peut-être à trouver dans l’univers des thèses féministes qui viendrait chercher chez Calaferte les grands types de discours d’asservissement de la femme, et aussi et en même temps un parcours sensible d’une femme qui aime l’œuvre qu’elle lit.
À vrai dire, je connais peu le travail de Louis Calaferte, mais je crois qu’ici c’est une sorte d’avantage, car j’ai pu rester tout près du texte de ces lettres où la colère cède souvent le pas devant la passion, sans m’engluer dans la traque des citations que j’aurais pu trouver dans Septentrion ou Rosa mystica, livres les plus souvent cités. C’est le plaisir esthétique qui nous reste ; celui qui lie Valérie Rossignol et Calaferte évidemment, et celui qui nous lie comme lecteur à cette correspondance post-mortem. L’absence ainsi fait son travail. Oui j’ai aimé découvrir en creux, dans une sorte de métaphore in absentia, la présence de l’écrivain derrière le livre, la valeur propre de l’ailleurs aussi dans ce qui fait le fond d’une correspondance par exemple.
J’ai été prise dans vos visions hallucinées, piégée par la force évocatoire d’une même couleur, sombre, glauque, par votre aptitude à faire de l’aventure sexuelle une épreuve, un échec.
La correspondance balance toujours sur la question de l’adresse, savoir à qui réellement une lettre est adressée. À qui s’adresse une lettre ? est-elle purement faite pour la lecture de celui ou celle avec qui l’on correspond ? a-t-elle la possibilité de souligner en vérité qui est celui ou celle qui écrit la lettre ? n’est-ce pas pour l’épistolier ou l’épistolière une façon de gérer du vide et de l’absence ? n’est-ce pas pour dire autrement une tournure que prend le vide existentiel de l’action d’écrire où la correspondance viendrait comme un support miraculeux ? Ce sont ces questions qui m’ont hanté au milieu de ces Lettres à Louis Calaferte. Il resterait à vérifier davantage dans la lecture de tous les ouvrages de Calaferte si les propos de V. Rossignol pouvaient s’étendre à plus de textes, et incriminer d’autant le machisme et, en retour, apprécier mieux cette proposition d’études de genre. Mais comme je le disais en supra, cette instruction de la figure absente m’a grandement motivé et m’a autorisé à lire ce petit opuscule, puis écrire ces quelques remarques.
Vous n’étiez pas parti à la conquête du monde comme un adolescent ivre de confronter sa force et son orgueil à ceux des autres. Vous étiez livré au spectacle de la rue, en proie aux angoisses les plus fortes face aux scènes de mort ou de déchéance auxquelles vous assistiez. Le monde ne vous édifiait pas, il ne vous érigeait pas en héros, il vous marquait au fer.
Didier Ayres
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