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Lettre à l’absence, Patrice Maltaverne

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) 18.10.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Lettre à l’absence, éditions La Porte, 2014

Ecrivain(s): Patrice Maltaverne

Lettre à l’absence, Patrice Maltaverne

 

Publié par la micro-maison d’édition La Porte, laquelle édite des petits livres de quelques 16 pages, cousus main et numérotés à 200 exemplaires, le recueil de Patrice Maltaverne, Lettre à l’absence, signe par ses mots suggestifs traversés d’images éloquentes un bel ouvrage. Ce recueil de Maltaverne déjà interpelle par sa différence par rapport aux écrits précédents du revuiste dirigeant depuis de belles années le poézine Traction-Brabant. Ses distiques et sa composition presque classique pausent un instant d’étonnement.

Avant que le lecteur emboîte dans la foulée le pas de Maltaverne, la route vient nous happer & nous engouffrer dans ses trouées de lumière & de solitudes

/ nous projeter du haut de nos fourmilières vers ces prés de bitume où la foule avance, clé d’appoint dans le dos / pour s’aligner sur un quotidien pris en flagrant délit de banalité s’il n’électrocute pas les passants / qui ne font qu’y passer.

La lumière laisse filer ces petits hommes

Avec juste la hauteur qui devient vertige

Une foule avance, automate de ses propres gestes :

 

Ces somnambules s’agitent sur des portées

Parallèles à celles de leurs semblables

Comme égarés dans leurs repères, devenus repaires, rectangles d’éclairage

 

Les paysages des ruelles sont rayés par les essuie-glaces

Que des yeux à demi ouverts remplacent en vitesse

 

Dans ce décor les perspectives évasent leur point de fuite comme les êtres se dirigent dans la saumure impassible vers une place intangible

 

Le temps qu’un brouillard de circonstance

Disperse à nouveau chacun vers son histoire valable

& si les trouées de lumières sont des vortex de solitudes, l’espace est à l’œuvre de géométries variables

et les belles ressemblent à ces automates de beauté une clé d’appoint dans le dos pour avancer

 

Sauves / Seront sauves les silhouettes inhabituelles, créatrices des chemins de traverse

Et cette Lettre à l’absence de Maltaverne trace une silhouette à l’écriture, redorée par l’énergie qu’elle recèle & diffuse

et nous offre d’allumer

nos lampes internes

 

La force de cette lettre à l’absence réside dans son rythme en distiques amples qui distillent par images & des mots déroulés en rubans de flux routier des instantanés d’émotions /des concentrés d’existence /des bouts de vie syncopés / précipités / j’oserais écrire : copiés-collés dans nos arrêts sur images en perpétuel mouvement / saisis dans leur fulgurance

 

Nous les voyons sortir d’un segment pour disparaître

Dans le couloir des bus à échappement de couleuvre

 

Il est presque l’heure de fermer les yeux

D’allumer ses lampes internes en même temps

 

Leurs filaments collent aux contes que les devantures

Relatent à partir des traces de passage humain

 

Et cette bouillie de lumière plonge les passants

Sans les électrocuter dans la saumure impassible

En nommant les êtres & les choses par leur référent-type, généralisé par l’article défini, ou pris en compte par l’article indéfini (« les belles », « un brouillard de circonstance », les passants…), l’écriture de Maltaverne percute ici par ce langage une réalité d’autant plus frappante qu’elle se fait comme par son biais singulière ; d’autant plus sensible et tangible qu’elle se généralise dans une perception collective presque abstraite, qui touche pourtant plus intensément au cœur de l’Individu / en marchevers son histoire valable.

Prélevée en ses échantillons, à l’observation comme de futurs archétypes, la réalité se lit dans ses formes collectives et dans ses sens universels

pour dégager une impression de paysages insolites où la disparition d’UN individu pourtant

fait signe

et fait poésie

 

Cette Lettre vibre d’une intensité & d’un rythme qui habitent les douleurs profondes /

recueillies dans leur silence de discrétion comme celles blotties au plus près de l’émotion personnelle ici partagée par la poésie des mots & des images.

 

Les émotions les moins heureuses ne sont pas celles – sauf à se vouloir ostentatoires – qui se manifestent dans les signes bruyants d’un langage public. La poésie devient ce canal linguistique ici, grâce auquel le pouvoir de la suggestion approfondit les lignes et les perspectives de perception du monde, bien plus intensément que ne le ferait un discours rationnel /ou/ encombré du bruit sur-lyrique des émotions ostentatoires.

 

Cette Lettre brille par l’absence de ce qu’elle célèbre : la vie /

dans son élan / dans son grand mouvement

le désir /

le désir de survivre à l’absence/

 

Elle est hommage en même temps qu’elle poursuit le partage des existences /

même celles séparées par l’absence /dans l’espace physique et géographique du monde

 

Je vais plutôt remonter la pente

En direction de l’inconnu à petits pas

écrit Maltaverne, utilisant ici comme rarement dans cette Lettre un « je » en présence encore / de ce « Tu » de l’Autre disparu mais encore (par les mots de l’ami) vivant

Tu as cherché à suivre par cœur

Le fil qui te reliait à cette origine plus nette

Ce n’était plus l’heure de prendre l’air

Il fallait rattraper des ombres peureuses

Et maintenant tu t’es incrusté

Dans une borne au bord du chemin

Mais

sur ce tapis roulant réel

la poésie / l’enfance / l’énergie de vivre

ressurgissent

même habités / même hantés par le mystère

et les survivants de l’épisode

empilent leurs souvenirs avec l’envie

de remonter la pente / de repartir

même mal

comme si de rien n’était

comme si tout allait

toujours

Avant de tourner dans la dernière rue

Toujours nous ne verrons rien d’anormal

Poussez les paravents du jour

Ouvrez cette Lettre

où brille l’absence

en veille d’amitié /

en rémanences

en résurgence /

dans la présence réelle

d’un poète

 

Murielle Compère-DEMarcy

 


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A propos de l'écrivain

Patrice Maltaverne

 

Patrice Maltaverne dirige le poézine Traction-Brabant depuis 2004 [Metz], (Blog : http://www.traction-brabant.blogspot.com). Auteur de poèmes publiés dans une vingtaine de revues, il a publié Lettre à l’absence en 2014 aux éditions de La Porte (Cf. Article de Murielle Compère-Demarcy sur le site de La Cause Littéraire du 18/10/2014 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie). Les 8 premiers poèmes de Faux Partir sont parus dans les numéros 38 et 39 de la revue Le jardin ouvrier (octobre et décembre 2003) ; les poèmes n°5 et 6 A plusieurs reprises… ont été republiés dans l’anthologie Le jardin ouvrier publiée aux Éditions Flammarion (2008) ; les 8 poèmes suivants de Faux partir sont parus dans le numéro 11 de la revue Saltimbanques (novembre 2006).

 

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.