Lettre à l’absence, Patrice Maltaverne
Lettre à l’absence, éditions La Porte, 2014
Ecrivain(s): Patrice Maltaverne
Publié par la micro-maison d’édition La Porte, laquelle édite des petits livres de quelques 16 pages, cousus main et numérotés à 200 exemplaires, le recueil de Patrice Maltaverne, Lettre à l’absence, signe par ses mots suggestifs traversés d’images éloquentes un bel ouvrage. Ce recueil de Maltaverne déjà interpelle par sa différence par rapport aux écrits précédents du revuiste dirigeant depuis de belles années le poézine Traction-Brabant. Ses distiques et sa composition presque classique pausent un instant d’étonnement.
Avant que le lecteur emboîte dans la foulée le pas de Maltaverne, la route vient nous happer & nous engouffrer dans ses trouées de lumière & de solitudes
/ nous projeter du haut de nos fourmilières vers ces prés de bitume où la foule avance, clé d’appoint dans le dos / pour s’aligner sur un quotidien pris en flagrant délit de banalité s’il n’électrocute pas les passants / qui ne font qu’y passer.
La lumière laisse filer ces petits hommes
Avec juste la hauteur qui devient vertige
Une foule avance, automate de ses propres gestes :
Ces somnambules s’agitent sur des portées
Parallèles à celles de leurs semblables
Comme égarés dans leurs repères, devenus repaires, rectangles d’éclairage
Les paysages des ruelles sont rayés par les essuie-glaces
Que des yeux à demi ouverts remplacent en vitesse
Dans ce décor les perspectives évasent leur point de fuite comme les êtres se dirigent dans la saumure impassible vers une place intangible
Le temps qu’un brouillard de circonstance
Disperse à nouveau chacun vers son histoire valable
& si les trouées de lumières sont des vortex de solitudes, l’espace est à l’œuvre de géométries variables
et les belles ressemblent à ces automates de beauté une clé d’appoint dans le dos pour avancer
Sauves / Seront sauves les silhouettes inhabituelles, créatrices des chemins de traverse
Et cette Lettre à l’absence de Maltaverne trace une silhouette à l’écriture, redorée par l’énergie qu’elle recèle & diffuse
et nous offre d’allumer
nos lampes internes
La force de cette lettre à l’absence réside dans son rythme en distiques amples qui distillent par images & des mots déroulés en rubans de flux routier des instantanés d’émotions /des concentrés d’existence /des bouts de vie syncopés / précipités / j’oserais écrire : copiés-collés dans nos arrêts sur images en perpétuel mouvement / saisis dans leur fulgurance
Nous les voyons sortir d’un segment pour disparaître
Dans le couloir des bus à échappement de couleuvre
Il est presque l’heure de fermer les yeux
D’allumer ses lampes internes en même temps
Leurs filaments collent aux contes que les devantures
Relatent à partir des traces de passage humain
Et cette bouillie de lumière plonge les passants
Sans les électrocuter dans la saumure impassible
En nommant les êtres & les choses par leur référent-type, généralisé par l’article défini, ou pris en compte par l’article indéfini (« les belles », « un brouillard de circonstance », les passants…), l’écriture de Maltaverne percute ici par ce langage une réalité d’autant plus frappante qu’elle se fait comme par son biais singulière ; d’autant plus sensible et tangible qu’elle se généralise dans une perception collective presque abstraite, qui touche pourtant plus intensément au cœur de l’Individu / en marchevers son histoire valable.
Prélevée en ses échantillons, à l’observation comme de futurs archétypes, la réalité se lit dans ses formes collectives et dans ses sens universels
pour dégager une impression de paysages insolites où la disparition d’UN individu pourtant
fait signe
et fait poésie
Cette Lettre vibre d’une intensité & d’un rythme qui habitent les douleurs profondes /
recueillies dans leur silence de discrétion comme celles blotties au plus près de l’émotion personnelle ici partagée par la poésie des mots & des images.
Les émotions les moins heureuses ne sont pas celles – sauf à se vouloir ostentatoires – qui se manifestent dans les signes bruyants d’un langage public. La poésie devient ce canal linguistique ici, grâce auquel le pouvoir de la suggestion approfondit les lignes et les perspectives de perception du monde, bien plus intensément que ne le ferait un discours rationnel /ou/ encombré du bruit sur-lyrique des émotions ostentatoires.
Cette Lettre brille par l’absence de ce qu’elle célèbre : la vie /
dans son élan / dans son grand mouvement
le désir /
le désir de survivre à l’absence/
Elle est hommage en même temps qu’elle poursuit le partage des existences /
même celles séparées par l’absence /dans l’espace physique et géographique du monde
Je vais plutôt remonter la pente
En direction de l’inconnu à petits pas
écrit Maltaverne, utilisant ici comme rarement dans cette Lettre un « je » en présence encore / de ce « Tu » de l’Autre disparu mais encore (par les mots de l’ami) vivant
Tu as cherché à suivre par cœur
Le fil qui te reliait à cette origine plus nette
Ce n’était plus l’heure de prendre l’air
Il fallait rattraper des ombres peureuses
Et maintenant tu t’es incrusté
Dans une borne au bord du chemin
Mais
sur ce tapis roulant réel
la poésie / l’enfance / l’énergie de vivre
ressurgissent
même habités / même hantés par le mystère
et les survivants de l’épisode
empilent leurs souvenirs avec l’envie
de remonter la pente / de repartir
même mal
comme si de rien n’était
comme si tout allait
où toujours
Avant de tourner dans la dernière rue
Toujours nous ne verrons rien d’anormal
Poussez les paravents du jour
Ouvrez cette Lettre
où brille l’absence
en veille d’amitié /
en rémanences
en résurgence /
dans la présence réelle
d’un poète
Murielle Compère-DEMarcy
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